Yawatani

Dans son communiqué revendiquant les attentats perpétrés le vendredi 13 novembre au cœur de Paris et aux alentours du Stade de France, à Saint-Denis, l’État islamique (Daesh) emploie un ton martial pétri de vocabulaire dit religieux (« soldats du califat », « idolâtres », « pays croisés »…).

Pour mieux asseoir sa légitimité, Daesh introduit son texte par un verset coranique. L’islamologue Rachid Benzine, spécialiste de l’herméneutique du Coran, montre par son analyse, à la fois historique et linguistique, l’instrumentalisation idéologique qui en est faite.

 

Lors du dernier communiqué de revendication des attentats en France du 13 novembre, l’organisation Daesh cite un verset du Coran (sourate 59, verset 2). 

« Allah le Très-Haut a dit : “Et ils pensaient qu’en vérité leurs forteresses les défendraient contre Allah. Mais Allah est venu à eux par où ils ne s’attendaient point et a lancé la terreur dans leurs cœurs. Ils démolissaient leurs maisons de leurs propres mains autant que des mains des croyants. Tirez-en une leçon, ô vous qui êtes doués de clairvoyance.” »

هُوَ الَّذي أَخرَجَ الَّذينَ كَفَروا مِن أَهلِ الكِتابِ مِن دِيارِهِم لِأَوَّلِ الحَشرِ ۚ ما ظَنَنتُم أَن يَخرُجوا ۖ وَظَنّوا أَنَّهُم مانِعَتُهُم حُصونُهُم مِنَ اللَّهِ فَأَتاهُمُ اللَّهُ مِن حَيثُ لَم يَحتَسِبوا ۖ وَقَذَفَ في قُلوبِهِمُ الرُّعبَ ۚ يُخرِبونَ بُيوتَهُم بِأَيديهِم وَأَيدِي المُؤمِنينَ فَاعتَبِروا يا أُولِي الأَبصارِ

Analyse et mise en contexte du verset

Dans la revendication de l’attentat, on est face à un cas typique de décontextualisation par découpage de texte et extraction d’un fragment qui, du coup, perd sa signification d’origine dans le texte du Coran lui-même pour se laisser intégrer dans un contexte extérieur qui n’a plus rien à voir avec les intentions du texte coranique. 

Non seulement le verset 2 est séparé du précédent et du suivant mais il est amputé de sa première partie. Or, le passage ne devient coraniquement intelligible que si les trois premiers versets de cette sourate restent liés car c’est le verset 3 qui donne la clef du sens et renvoie à une événementialité historique. 

On est en effet en présence d’un passage coranique qui renvoie à un fait du passé qui, en soi, n’est pas transportable dans un autre temps quel qu’il soit et, moins que dans tout autre, à 1 435 ans de son effectuation présumée. 

Les trois premiers versets de la sourate 59 renvoient incontestablement à un événement de la période médinoise, alors que le Prophète Muhammad, réfugié dans l’oasis après qu’il eut été banni de sa tribu mecquoise, se trouve face à des contradicteurs totalement inattendus pour lui. Il s’agit des juifs médinois organisés en tribus prospères, notamment d’agriculteurs exploitant les riches palmeraies locales et installés sur place vraisemblablement de longue date. 

Les juifs de l’oasis sont des membres à part entière de l’alliance qui réunit les cinq tribus de la grande oasis. Deux suivent un culte tribal local et trois sont donc d’obédience judaïque. Quelles que soient les récriminations que le discours coranique peut avoir contre les juifs de l’oasis qui refusent de reconnaître l’authenticité de la Révélation, il ne peut agir contre eux pour des raisons de divergence idéologique ou religieuse, car on ne s’attaque pas à des alliés sinon pour des raisons de politique mais, en aucun cas, pour des raisons de divergence idéologique. 

Donc une fois posés les principes de fonctionnement de la politique contemporaine de Muhammad, il faut d’abord s’en tenir strictement au texte du Coran avant de regarder éventuellement ensuite vers les interprétations des textes postérieurs.

 

Les trois premiers versets de la sourate 59

Lisons donc ces trois versets (avec proposition de traduction) qui s’affichent en trois moments indissociables. 

A. Affirmation de la puissance (capacité d’agir) et de la justice de Dieu 

Verset 1: « (Tout) Ce qui est dans les Cieux et ce qui est sur la Terre glorifie Dieu ; il est le Puissant et Celui qui prend les justes décisions. » 

B. Identification des protagonistes, enclenchement de l’action et interprétation de l’action comme illustration de la puissance non pas humaine mais divine 

Verset 2 : « C’est lui (Allah) qui a fait sortir de leurs villages (à Médine) pour le premier rassemblement contraint (ce premier rassemblement renvoie à un second qui est le rassemblement du Jugement dernier) ceux qui parmi les gens de l’Écrit avaient récusé (la révélation à Muhammad en refusant de l’accueillir comme succédant à la leur). 
Vous (les partisans de Muhammad) n’auriez pas imaginé qu’ils sortiraient (de leurs possessions dans l’oasis) et eux ils pensaient que leurs fortins les défendraient contre Dieu (tous les villages d’oasis en habitat regroupé étaient entourés en Arabie d’un mur de terre dont on trouve encore des spécimens aujourd’hui) ; mais Dieu est venu à eux d’une manière qu’ils n’avaient pas prévue ; il a jeté la terreur dans leurs cœurs (de sorte qu’ils n’ont pu réagir, le cœur est dans la représentation ancienne le siège non des sentiments mais de l’intelligence) ; alors ils ont détruit de leurs mains (on est dans la métaphore pour signifier le fait que les attaqués ne savent pas quoi faire) leurs demeures et de celle des ralliés ; considérez donc cela, hommes qui voyez clair (qui comprenez). » 

C. Résultat de l’action qui n’est pas du tout la mise à mort des adversaires vaincus mais leur éloignement de Médine 

On remarquera que c’est Dieu qui est donné comme agissant et non pas des hommes qui se prendraient pour le bras armé de Dieu et prétendraient agir en son nom. Le texte est sans ambiguïté à cet égard. Le facteur agissant est divin. 

Verset 3 : « Si ce n’était qu’Allah leur avait imposé l’expulsion (de Médine), il les aurait fait souffrir en ce monde ; dans l’autre monde ils subiront le tourment du (lieu de) feu (le désert brûlant de soleil est la représentation de l’Enfer coranique). » 

Conclusion
 
Dans les versets 1 à 3 de la sourate 59, on est historiquement non face à un massacre. Les règles de la politique ne l’auraient pas permis dans le cas de la transgression politique qui n’est pas précisée mais qui sert de prétexte à l’éloignement. 

Le texte coranique habille de triomphalisme divin une action politique réussie en la mettant au compte de Dieu. Ce qui répond à l’assertion première de la puissance divine (verset 1). Mais les règles de l’éthique de la société ne sont nullement transgressées par l’action divine. La menace eschatologique donne le dernier mot au divin. 

Par conséquent, l’utilisation d’un fragment de ces versets en effaçant tout le contexte pour venir à l’appui d’un massacre du XXIe siècle est une véritable trahison du texte du Coran et de ses intentions. 


**** 
Rachid Benzine, islamologue, est chargé de cours à l’IEP d’Aix-en-Provence et à la faculté protestante de Paris. Il enseigne à l’institut théologique Almowafaq (Rabat). Il est chercheur associé à l’Observatoire du religieux (IEP Aix-en-Provence). Ouvrages parus : Les Nouveaux Penseurs de l’islam (Albin Michel, 2004) et Le Coran expliqué aux jeunes (Éd. du Seuil, 2013).

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    Abû Hurayra rapporte : le Prophète ( paix et salut sur lui) dit : « Il y a des Anges de Dieu qui font le tour des voies et des chemins sur terre pour chercher les assemblées de Dhikr (invocations de Dieu). Dés qu’ils trouvent une assemblée de Dhikr, ils s’appellent et enveloppent de leurs ailes cette assemblée jusqu’au ciel inférieur.

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