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Hicham Abdel Gawad et Gregory Vandamme, islamologues et doctorants à l’Université catholique de Louvain (Belgique)

Alors que le Ramadan doit se terminer jeudi 13 mai, après un mois sacré marqué notamment par l’attentat de Rambouillet, La Croix a demandé à deux chercheurs musulmans en sciences des religions ce que l’islamologie pouvait opposer au terrorisme islamiste.

Dans une tribune parue dans L’Obs, un collectif d’intellectuels musulmans condamne l’attentat de Rambouillet en s’appuyant sur des passages du Coran qui interdisent la violence, sauf en cas de légitime défense. Qu’en pensez-vous ?

Hicham ABDEL GAWAD | UCLouvain (University of Louvain) - Academia.edu

Hicham Abdel Gawad : Tout d’abord, je salue cette réaction. Car si la société n’a pas à exiger des citoyens qui se trouvent être musulmans de condamner les attentats au nom de leur seule appartenance religieuse, il me semble nécessaire que les dignitaires et responsables musulmans le fassent, systématiquement. En revanche, je crois que partir à la pêche aux versets coraniques pour affirmer que l’islam n’incite pas à la violence n’est pas une méthode valable : on pourrait tout aussi bien trouver des versets disant l’inverse ! Cette exégèse sauvage où l’on sélectionne uniquement ce qui va dans notre sens est précisément le paradigme à renverser, car elle est aussi pratiquée par les salafistes.

Estimez-vous, comme une partie des islamologues contemporains, qu’il est temps que l’islam connaisse une « crise réformiste » ?

L'influence de la philosophie grecque dans la tradition soufi ... Par  Gregory VANDAMME à l'AIB - YouTube

Gregory Vandamme : Cette idée d’une réforme de l’islam est devenue omniprésente, beaucoup de gens la réclament. Pour ma part, je ne me sens pas l’âme d’un réformateur. Je préfère parler de revivification. Sans être non plus un traditionaliste, il me semble que retourner à la tradition islamique aurait du bon. Car cette tradition, c’est avant tout l’histoire d’une longue conversation, d’un long commentaire. La pensée musulmane traditionnelle n’est que nuance. Or aujourd’hui, on ne cherche plus qu’à imposer une lecture univoque, que ce soit dans le salafisme ou dans le réformisme.

H. A. G. : Plutôt qu’attendre une réforme descendante, je préfère pour ma part remonter du bas vers le haut : par le biais de l’enseignement, donner aux jeunes musulmans des outils intellectuels qui leur permettent d’enrichir leur pensée. Si cela débouche sur une réforme à terme, tant mieux !

Quels sont ces « outils intellectuels » dont vous parlez ?

H. A. G. : Entre autres ce qu’on appelle l’approche historico-critique, que le christianisme applique à la Bible depuis environ cent cinquante ans et qui tombe aujourd’hui sous le sens pour la plupart des chrétiens. L’islam gagnerait, lui aussi, à connaître cette collaboration fructueuse entre théologiens et historiens. À défaut de dire ce qui s’est passé, elle permet du moins de mettre en lumière ce dont on sait que cela ne s’est pas passé – comme l’idée que Mohammed aurait fait lapider des gens, par exemple –, afin d’éviter aux théologiens de s’appuyer sur ces éléments improbables historiquement.

G. V. : L’approche historico-critique est bien sûr un outillage indispensable. Je ne suis d’ailleurs pas loin de penser que ce qui manque surtout à l’islam, ce sont des jésuites ! Mais cela ne suffit pas. Ce retour réflexif et critique au passé fait déjà partie de la tradition islamique. C’est elle qu’il nous faut redécouvrir, alors qu’elle fait l’objet d’une méconnaissance abyssale depuis le XIXe siècle. À cette époque, l’orientalisme colonial, les réformes modernistes importées d’Occident et la naissance du ­wahhabisme ont tous trois organisé une forme d’amnésie collective quant à la tradition antérieure.

Depuis cette grande fracture, la pensée musulmane s’est considérablement appauvrie. Elle semble désormais considérer l’islam comme un corpus de textes à la fonction normative : « Il faut », « tu dois »… Or le littéralisme prôné par les salafistes n’est bien sûr qu’une illusion, puisqu’il s’agit déjà d’une interprétation ! Dès les premiers siècles, les interprétations du Coran étaient plurielles. La vérité, c’est qu’on ne sait pas quelle est la « lettre ».

L’islam semble aujourd’hui incapable de se dégager de ce littéralisme mortifère, qui s’illustre régulièrement dans des attentats. Pourquoi ?

H. A. G. : Mettons-nous à la place d’un musulman de 17 ans qui cherche à en savoir plus sur sa religion : il aura face à lui pléthore de sites, livres et DVD salafistes, bon marché, au storytelling redoutablement efficace. Et de l’autre côté, que trouve-t-il ? Rien. Ou plutôt, si : certains disent qu’il faut inonder le « marché » avec des idées modernistes, de même que l’Arabie saoudite a inondé le marché avec ses idées salafistes dans la seconde moitié du XXe siècle. Est-ce vraiment une solution ?

Pour ma part, je préfère faire le pari de l’intelligence, car je crois qu’il y a en chaque être humain un désir de vérité. Depuis plusieurs années, je suis engagé dans un travail pédagogique exigeant, visant à former des jeunes musulmans suffisamment solides intellectuellement pour ne pas se faire avoir par n’importe quel discours.

G. V. : Entièrement d’accord. Si tout ce que l’on propose à ces jeunes, face au discours salafiste, c’est une posture réformiste relativiste et ultralibérale, on ne risque pas de les convaincre. Or c’est ce que nous voyons aujourd’hui : les justifications d’une partie de ceux qui prônent un « islam des Lumières » semblent davantage fondées sur un certain hédonisme consumériste que sur des valeurs spirituelles et religieuses. On ne peut se contenter de relativiser des questions aussi centrales pour l’islam que la révélation du Coran ou la résurrection ! Façonner ainsi un « islam sur mesure » serait du reste contraire à l’esprit des Lumières, qui n’était autre qu’une quête de l’universel.

la-croix

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