Yawatani

Est-il vraiment cet « affairiste notoire du palais » que dénonce le journaliste Eric Laurent au sortir de sa garde à vue ? Ou alors, comme le suggère Catherine Graciet, un avocat sorti de son rôle pour endosser celui d’« agent des services secrets » et piéger des journalistes ? Hicham Naciri est le troisième protagoniste, le moins connu, de l’affaire de soupçon de chantage contre Mohammed VI qui a éclaté le 27 août.


Ce jour-là, Hicham Naciri, émissaire du secrétariat particulier du roi du Maroc, sort de l’hôtel Raphaël, dans le 16e arrondissement de Paris. Quelques instants plus tôt, il a remis deux enveloppes à Catherine Graciet et à Eric Laurent, contenant chacune 40 000 euros en espèces. Me Naciri a aussi empoché sa copie du contrat manuscrit de renonciation à publier le livre que préparaient les deux journalistes, une copie remise aux autorités françaises car ce rendez-vous était sous surveillance policière. Les deux journalistes sont arrêtés, la main dans le sac. Pour le palais, l’affaire relève du « chantage », de la « tentative d’extorsion ». Du côté des journalistes, Eric Laurent évoque un « deal », mais dénonce un « traquenard ». Catherine Graciet relève une tentative de corruption avérée : « Je ne comprends pas que Me Naciri fasse ouvertement une proposition de corruption à des journalistes français. »

Avocat du pouvoir


Comment cet avocat de 46 ans, spécialisé dans le conseil en droit des affaires, plus habitué au confort feutré des bureaux des grands PDG du Maroc et du continent africain, s’est-il retrouvé au centre d’un tel polar ? « C’est un coup de maître ! Le plus beau de la carrière d’Hicham », commente un de ses confrères casablancais qui préfère garder l’anonymat. Goûtant peu les médias, Hicham Naciri, veuf et père de deux enfants, est pourtant une star du milieu. En mars dernier, l’hebdomadaire Jeune Afrique le considérait comme l’une des « 20 personnalités qui feront le Maroc de demain » en soulignant qu’il est « aussi l’avocat attitré du Palais et des hommes de pouvoir ». Inscrit aux barreaux de Paris et de Casablanca, ce n’est pas vraiment un « plaideur », comme le fut son père, Mohammed Taïb Naciri, que son fils, par déférence, n’a jamais appelé que « le bâtonnier ».
Naciri père présida deux fois le conseil de l’ordre des avocats de Casablanca, avant de siéger, dans les années 1990, à la Cour suprême puis au Conseil constitutionnel du Maroc. En 2002, il est nommé membre de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (l’équivalent du CSA français) mais garde la main sur le cabinet d’avocats, où il compte parmi ses clients le palais royal, avant de devenir ministre de la justice de Mohammed VI, de janvier 2010 à janvier 2012. Avocat de l’ancienne génération, maniant à l’excellence l’arabe juridique et les subtilités du droit français, il était à la fois respecté et craint. Quand il meurt en mai 2012, d’un infarctus foudroyant, ses funérailles rassemblent le gotha des affaires et de la politique, des centaines de confrères et une foule impressionnante d’habitants de Nouaceur, le village natal des Naciri, devenu chef-lieu de province. A proximité de la maison familiale, le cortège funéraire passe devant l’école primaire « Hadj Mohammed Taïb Naciri », construite grâce à un don du « bâtonnier ».
Après des études à Montpellier, où il décroche en 1994 un DJCE (diplôme de juriste conseil d’entreprise), Hicham Naciri marche dans les pas de son père. Il rejoint l’équipe parisienne de Gide-Loyrette-Nouel, plus gros cabinet français d’avocats d’affaires. Il y passe quatre ans et se frotte notamment à des dossiers de fusions-acquisitions et d’investissements étrangers, qui lui seront utiles lors de son retour au Maroc, en juin 2000. Son projet est de faire passer le cabinet familial, déjà réputé localement, à la vitesse supérieure. Le Maroc traverse alors une période de grâce liée au changement de règne. Un vent d’ouverture souffle sur le pays. Un fugace « printemps de Rabat » sur le plan politique, mais c’est surtout dans le monde des affaires que cela bouge. Entamée lors des dernières années du règne d’Hassan II, la libéralisation de l’économie est accélérée par Mohammed VI.

Un stratège redoutable
Les Naciri père et fils sont de tous les gros deals du début du siècle : le lancement du deuxième opérateur de téléphonie mobile Méditel et le financement international pour l’achat de la licence d’un milliard de dollars ; les grandes opérations d’acquisitions et de privatisations (banques, industrie, télécoms) ; des projets d’infrastructures (le port de Tanger-Med) ; des investissements touristiques soutenus par le plan Azur… Ils conseillent tant les autorités que les privés qui se bousculent au portillon. En 2003, le cabinet s’associe à Gide-Loyrette-Nouel, au sein duquel Hicham Naciri a fait ses premières armes. La répartition des tâches est la suivante : au « bâtonnier », les activités de contentieux et d’arbitrage, au fils le volet conseil en droit des affaires. En termes d’honoraires et de collaborateurs, le consulting prend vite le dessus. Cette association avec un cabinet étranger creuse l’écart avec les concurrents et ne plaît pas à tout le monde. Mais le conseil de l’ordre valide cette joint-venture, au grand dam de la vieille garde.
« Me Hicham Naciri ? C’est un modèle pour nous. Il a été le premier à parier sur l’association avec un grand partenaire international », témoigne Mehdi Kettani, l’un des avocats marocains qui montent. Un « modèle » qui est aussi un redoutable stratège, dur en affaires et manœuvrier. C’est ainsi qu’en juillet 2011, il surprend ses partenaires français en annonçant son départ pour Allen & Overy, l’un des plus grands cabinets d’avocats d’affaires au monde. C’est la première installation au Maroc d’un cabinet anglo-saxon. Il entend en faire un « hub » pour les dossiers d’affaires tournés vers l’Afrique subsaharienne, en osmose avec la nouvelle diplomatie africaine de Mohammed VI. Une vingtaine de collaborateurs suivent Hicham Naciri dans cette nouvelle aventure, par ambition mais aussi par fidélité à l’avocat et à sa famille. Pour Gide-Loyrette-Nouel, le coup est rude. « Parfois, les séparations sont préparées à l’avance. Le plus souvent, c’est brutal. Là, ce fut brutal », confie un avocat qui a assisté au divorce. En plus de l’hémorragie des ressources humaines et des clients, il faut tordre le cou à la rumeur qui court : « Gide-Loyrette-Nouel va fermer son bureau casablancais. » Quatre ans plus tard, le cabinet français est resté actif dans le royaume. Hicham Naciri et ses anciens confrères se retrouvent régulièrement sur des dossiers. « Pas ensemble, mais face à face », précise avec malice un avocat parisien.

Techniques d’agent secret
Désormais griffé « Allen », Me Naciri règne dans des bureaux luxueux en bord de mer, à Casablanca. Les affaires prospèrent. Il dirige pleinement le cabinet, supervise personnellement l’activité de contentieux, jusque-là dévolue à son père. En plus d’avocats extérieurs qui sont parfois sollicités, quatre spécialistes du droit pénal des affaires traitent les dossiers les plus sensibles, choisis par Hicham Naciri lui-même, dont les affaires de presse pour le compte du secrétaire particulier du roi, Mounir Majidi, un client hérité de son père. Un client dont l’avocat refuse d’admettre qu’il est très particulier. C’est « business as usual », dit-il. Avec néanmoins une confidentialité et une vigilance démultipliées. Et puis être avocat du palais ne protège pas des envieux. Plusieurs de ses confrères dénoncent « le gigantisme d’Allen », le luxe des locaux et le train de vie de Me Naciri, que symbolise sa Maserati. Une litanie de critiques, toujours sous couvert de l’anonymat, qui semble plutôt confirmer l’avance qu’il a prise sur ses concurrents : « Qu’on l’aime ou pas, Hicham est le meilleur d’entre nous, tranche un confrère marocain installé à Paris. Il a écrasé tout le monde et pris une avance définitive. Ses associations successives lui ont permis à chaque fois de passer un cap. C’est “catch me if you can !” [“arrête-moi si tu peux”]. »
Lors de leur première rencontre le 11 août au bar du Royal Monceau, Eric Laurent insiste pour que Me Naciri reste son « seul et unique interlocuteur ». Face à cet avocat dont il connaissait le père, le journaliste de 68 ans se montre sûr de lui et de ses informations concernant la succession dans la famille royale ou des malversations dans la gestion de l’Office chérifien des phosphates. Au troisième rendez-vous, le 27 août au bar de l’hôtel Raphaël, Catherine Graciet, de retour de vacances, est présente. Elle se montre méfiante. Comme cela apparaît dans les transcriptions auxquelles Le Monde a eu accès, elle tente de le faire réagir aux informations dont elle dispose. Avec habileté, Hicham Naciri esquive, et garde le dessus. « Il m’a piégée, lâche aujourd’hui, avec le recul, la journaliste qui, tout comme son coauteur Eric Laurent, a été mise en examen pour chantage et extorsion de fonds. Il a usé de techniques de manipulation mentale propres à un agent secret. » Des méthodes aussi utilisées dans la négociation des grands deals financiers. Contacté, Hicham Naciri se refuse à tout commentaire.

Une défaite à Paris
Mme Graciet et Me Naciri s’étaient déjà jaugés, sans s’affronter. C’était le 17 avril sur les bancs de la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Ce jour-là, l’avocat marocain ne plaide pas mais assiste ses confrères parisiens Aurélien Hamelle et Eric Dezeuze. Face à lui, le très médiatique William Bourdon, fondateur de l’association Sherpa, défend le journaliste marocain Ahmed Benchemsi visé par une plainte pour diffamation de Mounir Majidi qui cite également Le Monde où est paru l’article incriminé, en juin 2012. Venu de Casablanca, Hicham Naciri se contente de glisser discrètement quelques mots à l’oreille de ses confrères. Il est en contact permanent avec son client, au palais royal, et gère ses autres dossiers en cours sur son Blackberry. Catherine Graciet est citée à témoigner par William Bourdon. Entre la journaliste et l’avocat marocain, les regards sont tendus.
Lire aussi : Maroc : procès de Mounir Majidi en bord de Seine
Me Naciri, le visage émacié grignoté par une barbe fournie, pratique assidûment le marathon. Il se considère préparé pour des courses de fond judiciaires. Il a pourtant perdu dans l’affaire Benchemsi, qui a été relaxé au bénéfice de sa bonne foi. La partie qui vient de s’ouvrir contre Eric Laurent et Catherine Graciet est aussi une nouvelle manche contre William Bourdon. Et cette fois, Hicham Naciri veut croire qu’il peut l’emporter.

Source: Lemonde

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