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Entretien avec Mohamed Essabbar, secrétaire général du CNDH

ALM: Vous êtes le secrétaire général du CNDH, et par conséquent vous êtes le numéro deux de cet établissement, quel bilan faites-vous de l’action du tandem Yazami-Essabbar ?
 

Mohamed Essabbar: Le bilan du CNDH peut se mesurer en termes quantitatifs, qualitatifs et aussi en termes de réactions suscitées au sein de la société marocaine, qu’il s’agisse du législateur (Parlement et groupes parlementaires), des médias ou de la société civile. Les divers rapports publiés depuis la création du Conseil ont été tous salués pour leur rigueur au niveau du diagnostic et des recommandations suggérées. Qu’il s’agisse des rapports suite à des missions d’investigation dans les lieux de privation des libertés (prisons, hôpitaux psychiatriques, centres de sauvegarde de l’enfance) ou concernant ces mémorandums relatifs à la mise en place des institutions de bonne gouvernance (APALD, CFE, CSPJ…), l’objectif principal du CNDH était de contribuer à une bonne mise en œuvre de la Constitution, et ce en référence aux dispositions du droit international des droits de l’Homme, tout en tirant profit au maximum des meilleures pratiques internationales.

Dans la pratique, quelles sont les réalisations du Conseil ?

Dans le cadre du débat national sur la réforme du système judiciaire, le CNDH a publié plusieurs contributions, soit parce qu’il a été sollicité ou dans le cadre de l’auto-saisine. Sur le plan régional, les treize commissions régionales des droits de l’Homme (CRDH) sont devenues des acteurs incontournables dans la promotion et la protection des droits de l’Homme, surtout dans les provinces du Sud. Depuis leur création, des dizaines de milliers de plaintes et demandes portent sur presque tous les axes qui touchent aux droits fondamentaux. Il était donc important que le CNDH déploie l’énergie nécessaire pour contribuer à la proposition de solutions structurelles que vous pouvez trouver dans les rapports et les mémorandums. Il faut rappeler, à ce propos, l’énorme tâche confiée au CNDH, dans le cadre du processus de la réconciliation que le Maroc a entrepris depuis 1999. Il s’agit du suivi de la mise en œuvre des recommandations de l’IER, et ce en accélérant le règlement de quelques centaines de cas (aujourd’hui, il n’en reste qu’une centaine), et en agissant concrètement dans le cadre du volet qui touche à l’histoire et à la mémoire (l’organisation de colloques à Al Hoceima, Dakhla, Ouarzazate) et la contribution à la création de musées (Rif, Dakhla, Casablanca). L’engagement et l’implication du CNDH dans la promotion des droits de l’Homme a eu des échos au niveau international. Ceci lui a valu la reconnaissance de ses pairs. En témoigne son élection à la tête de différents réseaux d’institutions nationales des droits de l’Homme, aux niveaux régional, continental et international. Il est considéré comme l’une des institutions nationales les plus dynamiques tant par sa présence que par sa contribution, au niveau du Conseil des droits de l’Homme à Genève.

Il y a votre bilan mais il y a aussi la situation nationale. Comment décrire la situation des droits de l’Homme au Maroc en 2015 ?

Le Royaume avait fait le choix, il y a plus d’une décennie, d’entamer volontairement des réformes majeures visant la promotion des droits des citoyens, notamment à travers la réforme du Code de la famille, l’expérience de l’Instance équité et réconciliation (IER) et la reconnaissance de l’identité culturelle et linguistique plurielle du pays.


La nouvelle Constitution marocaine a consacré pas moins d’une soixantaine de dispositions qui portent directement sur la question des droits de l’Homme. Il faut mettre en relief les avancées constitutionnelles qui, bien entendu, demandent une mise en œuvre effective. Cette mise en œuvre nécessite davantage d’efforts de la part de tous les acteurs de la société. Nous pensons donc qu’il faudra continuer le processus pour mettre toute la lumière sur les cas en suspens relatifs aux disparitions forcées et de mettre en œuvre les principales recommandations institutionnelles de l’IER, telles que l’adhésion au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, l’abolition de la peine de mort, ainsi que les recommandations relatives à la stratégie nationale de lutte contre l’impunité et la bonne gouvernance sécuritaire. Il y a lieu aussi de mettre un terme aux arrestations abusives des militants des droits de l’Homme lors des manifestations pacifiques. L’éradication définitive de la torture s’avère une tâche difficile, c’est pour cela qu’il faudra mettre rapidement en place les mesures du mécanisme national de prévention de la torture et le dispositif permettant le recours immédiat à l’expertise médicale en cas d’allégation de torture. La lutte contre toutes les formes de discrimination est un autre grand chantier qui est en cours. Le Conseil se fixe comme priorité l’élaboration de propositions sur la création d’une autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination et l’élaboration du cadre juridique régissant la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des petites filles.

Selon vous, quelle position occupe notre pays à l’échelle régionale et internationale ?

Le Maroc sous l’impulsion de SM le Roi Mohammed VI avance à pas sûrs sur le chemin de la consécration des droits de l’Homme. Ceci a permis au Royaume d’avoir une position de marque aux niveaux régional et international. A titre d’exemple, le représentant spécial de l’Union européenne pour les droits de l’Homme, Stavros Lambrinidis, lors de sa dernière visite, a fait part de l’ambition de l’UE d’élargir les perspectives de partenariat et de coopération avec le Maroc concernant les droits de l’Homme, tant sur le plan bilatéral qu’international, considérant que le Maroc est désormais érigé en exemple à suivre au niveau de la région.
A cette occasion, permettez-moi de rappeler la coopération qui lie le Royaume à ses partenaires européens dans le cadre de son Statut avancé et son statut de partenaire pour la démocratie auprès du Conseil de l’Europe. L’expérience en matière de justice transitionnelle et l’interaction avec le système onusien des droits de l’Homme sont des acquis qui ont fait que notre pays a fait sien l’agenda des droits de l’Homme aux niveaux national, régional et international.

Certains rapports internationaux concernant notre pays suscitent la polémique. Comment faut-il agir avec les ONG internationales et quelle explication donnez-vous à ces tensions ?

Depuis quelques années, le Maroc a choisi volontairement de s’ouvrir aux organes de traités et aux rapporteurs des Nations Unies, ainsi qu’aux ONG internationales. Cette volonté exprime son inscription dans une dynamique universelle. Certes, certaines défaillances persistent, et des points négatifs doivent être corrigés. Seulement, il ne faut pas que cela nous empêche, dans un esprit d’équité, de prendre en considération les avancées enregistrées et reconnues par l’ensemble des intéressés par les questions des droits de l’Homme. Ceci dit, nous considérons que les ONG internationales sont de sérieux partenaires avec qui nous entretenons de bonnes relations. A titre d’exemple, dans les préparations du 2ème FMDH, organisé à Marrakech à la fin novembre 2014, nous avons tenu à ce que toutes les activités, proposées par les ONG marocaines, soient organisées avec un partenaire international.
 

L’affaire du Sahara marocain occupe le plus souvent une bonne partie du débat. Comment jugez-vous l’approche marocaine vis-à-vis à la question des droits de l’Homme et est-ce que vous êtes pour un changement ?

Au niveau du CNDH, et à travers nos trois commissions régionales (CRDH Laayoune, Tan Tan et Dakhla), nous avons tenu à ce que la situation des droits de l’Homme dans les provinces du sud du Royaume soit traitée de façon transversale. D’ailleurs, l’action de nos CRDH a été saluée par tous les rapporteurs des Nations Unies et les ONG internationales ayant visité la région. Le rôle du CNDH est de veiller au respect des droits de l’Homme dans ces régions, comme d’ailleurs dans toutes les autres.
Après l’étude et l’analyse de l’ensemble des plaintes reçues par nos CRDH, nous constatons qu’une grande partie d’entre elles concerne des comportements d’auxiliaires de l’autorité, la situation des prisons et la revendication de l’accès aux droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux. C’est pour cela que nous préconisons la prise en considération des recommandations du CESE, relatives aux provinces du Sud.
 

Quelles sont les priorités pour vous au cours de cette année ?

Dans la promotion et la protection des droits de l’Homme tout est prioritaire. Seulement, un défi essentiel et central concerne les modalités d’encouragement de la participation citoyenne dans les mécanismes de la démocratie représentative et participative, ainsi que la promotion du rôle de la société civile, du système éducatif et de la culture des droits de l’Homme, en tant que leviers de la citoyenneté. Mais puisqu’il faut commencer par les plus urgents, cinq chantiers sont à prendre en considération. D’abord l’accélération du rythme de la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles relatives aux libertés, aux droits fondamentaux et au domaine de la justice. Cette mise en œuvre nécessite l’implication de tous les acteurs concernés. Le second chantier, qui représente aussi un grand défi, est celui de l’égalité effective entre les sexes et la lutte quotidienne contre les discriminations, directes et indirectes, dont sont encore victimes les femmes de notre pays. Ceci demande la mise en œuvre d’une politique publique active à ce niveau et une grande mobilisation pour les groupes vulnérables, surtout les enfants et les personnes en situation de handicap. Nous pouvons rajouter la promotion de la culture des droits de l’Homme dans les programmes d’enseignement et dans l’ensemble du système scolaire.

Et pour le chantier relatif aux échéances électorales que va connaître le Maroc ?

Le CNDH estime que les prochaines élections auront un intérêt particulier et qu’elles doivent être considérées à leur juste valeur, notamment à la lumière de la nouvelle Constitution. C’est pour cela que nous insistons, à ce niveau, sur la réalisation de la parité entre hommes et femmes, la généralisation de la participation de la jeunesse au développement social, économique culturel et politique du pays ainsi que la réhabilitation et l’intégration dans la vie sociale et civile des personnes en situation de handicap.

C’est également avec cette vision que le CNDH a publié un mémorandum dans lequel il a proposé quarante-cinq recommandations pour des élections plus inclusives et plus proches des citoyens. Dans le rapport présenté devant les deux Chambres du Parlement le 16 juin 2014, j’ai bien précisé que : «… ces défis constituent le socle de la vision, des objectifs stratégiques, de l’agenda, et des propositions du Conseil aussi bien sur le plan normatif que sur le plan des politiques publiques».

Avec cet objectif, le Conseil propose d’élargir ses compétences pour comprendre des mécanismes de protection, tels que celui relatif à la prévention de la torture, celui relatif à la protection des enfants victimes de violations, celui relatif à la lutte contre la discrimination ainsi que celui relatif à la protection des personnes en situation de handicap.

Avortement et peine de mort

Le CNDH avait attiré l’attention en prenant position sur la question de la justice militaire. Est-ce que vous allez faire de même dans d’autres sujets, notamment l’avortement ?

Il faut rappeler que la nouvelle loi de la justice militaire, qui entrera en vigueur à partir du 1er juillet 2015, exclut en toute circonstance les civils de la compétence personnelle du Tribunal militaire, y compris les civils employés par les FAR et les civils complices des militaires.
Le CNDH se félicite donc de l’adoption de cette loi pleinement conforme aux dispositions de la Constitution de juillet 2011 et des principaux instruments du droit international des droits de l’Homme et à la jurisprudence accumulée en la matière par la communauté internationale.
S’agissant de la question de l’avortement, nous pensons que la montée en puissance des femmes marocaines et leur rôle dans la société sont un indicateur du sens de l’histoire. La pénalisation de l’avortement n’a pas empêché ce phénomène de s’amplifier. Il s’agit là de préserver la dignité des femmes et surtout leur droit à disposer de leur corps. C’est pour cela que nous appelons à la conjugaison des efforts pour empêcher la poursuite du phénomène de l’avortement clandestin qui porte atteinte au droit à la vie de la femme, relevant que l’existence d’un réel débat entre les composantes de la société est de nature à résoudre les problèmes de la grossesse non désirée et à éviter les répercussions qui résultent de l’avortement clandestin.

L’autre question qui divise concerne la peine de mort. Votre Conseil peut-il jouer un rôle dans ce sens ?

Le Conseil est parfaitement conscient que la question de l’abolition de la peine de mort est l’objet d’un débat et de prises de position contradictoires au sein de la société, particulièrement face à l’horreur de certains crimes et à leurs séquelles chez les victimes et leurs proches. Tout en prônant un dialogue réfléchi, rationnel et serein sur ce thème, le CNDH saisit cette occasion pour réaffirmer sa position appelant notre pays à adhérer au second  Protocole additionnel au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, à l’abolition de la peine de mort et à voter en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies appelant à un moratoire sur la suspension de l’exécution de la peine de mort dans la perspective de son abolition.

 

Houda El Fatimi

 

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