Yawatani

Peu après son arrivée au pouvoir et ses deux visites à l’étranger qui ont eu le mérite d’encadrer sa mission à la tête de l’exécutif, l’allégeance à Berlin et la virée dans un territoire africain, une dépendance malienne de la France, Macron a convoqué en juillet 2017 une conférence sur la Libye. 

Patronnée par l’ONU sur une initiative française, elle a réuni les personnalités politiques rivales du pays dévasté par le fait d’une opération militaire franco-britannique sous parapluie de l’OTAN. Autour de la table étaient présents des représentants de l’ONU, de l’UA et ceux de 19 Etats, soulignant la mise sous tutelle d’une nation prospère et indépendante avant l’intervention de Sarközy, premier Président français à avoir aussi clairement énoncé son inféodation à Washington. La célérité avec laquelle le nouvel occupant du palais de l’Elysée a voulu traiter la question libyenne indique qu’elle était d’importance et qu‘elle lui avait été sans doute relayée dans le même registre impératif que lui avait été confié le code de l’arme nucléaire. 
 
La prétention du Bonaparte de pacotille à établir un processus politique où se tiendraient élections législatives et présidentielles avant la fin de l’année 2017 s’est heurtée à une réalité où le nombre d’acteurs en présence sur le terrain libyen excède de loin la maîtrise diplomatique et militaire française. Macron a voulu rééditer un autre essai en mai 2018. L’accord ‘historique’ selon lequel se sont engagés Fawez al Sarraj, le Premier ministre siégeant à Tripoli et figurant de la ‘Communauté internationale’ et le général Khalifa Haftar dirigeant de l’Armée de Nationale Libyenne, homme de la CIA mis en réserve depuis 1990, depuis la ville de Tobrouk à procéder à une sortie de crise par une voie politique n’a pas été suivi des effets escomptés. 
 
Ce qu’ils ont fait de la Libye
Toujours pas d’élections en vue, l’insécurité prévaut dans une zone sans tradition jacobine où les particularismes régionaux et tribaux n’ont pas été effacés et où continue de prévaloir une tradition millénaire de consensus entre partenaires rétifs à toute subordination. La configuration géographique de la Libye et particulièrement le Sud avec un immense territoire quasi-désertique, peu dense en zones habitées et jouxtant de nombreux pays sahéliens et sub-sahéliens a été l’occasion après l’assassinat de Mouammar Gadhafi d’interventions de toutes sortes. L’espoir à moyen terme d’une stabilité du pays est encore à ce jour infondé tant le climat est favorable à la pousse de milices, d’organisations ‘extrémistes’ et de réseaux criminels (gangs de kidnappeurs, narcotrafiquants, passeurs de migrants et marchands d’armes et d’esclaves) dont les activités se croisent et se coordonnent parfois avec celles de groupes militaires plus ou moins officiels. Outre leur collusion avec des acteurs politiques nationaux, des puissances étrangères ont recours à leurs services. 
 
Lors de la réunion interministérielle des pays voisins de la Libye tenue à Khartoum en novembre dernier, les intervenants ont insisté sur la présence dans le Sud de la Libye de groupes armés venant du Niger, du Tchad, du Soudan et du Mali. Ils ont parfois des revendications politiques mais s’allient avec des éléments de l’Etat Islamique ou des trafiquants d’êtres humains ou de drogue pour contrôler la vaste région transfrontalière perméable à toutes sortes d’incursions. L’absence d’Etat et le délabrement des services publics (accès à l’eau, à la santé et à l’éducation) rend la population du Fezzan très vulnérable et aisément manipulable par les clans politiques qui instrumentalisent les inévitables divisions communautaires. Ainsi les Toubous libyens (il en existe au Tchad) sont devenus le bras armé du maître actuel de la Cyrénaïque, Khalifa Haftar pour le contrôle de la ville de Sebha, point nodal pour tous les trafics et la sécurisation des infrastructures militaires et pétrolières. Les Toubous s’affrontent aux Awlad Soulaïman pour une protection socio-économique plutôt que pour une hégémonie tribale. Les uns et les autres se livrent des luttes intenses pour la maîtrise des routes cette province, des champs pétrolifères de Brak al-Shati et Tamenhit. Un groupe armé ‘la Colère de Fazzan’ a réussi à interrompre l’extraction pétrolière du champ de Sharara et celle du champ d’al Fil dépendant du précédant pour son électricité, il a fait chuter la production de 388 000 barils/jour sur un total national d’1,5 miilion/jour en protestation contre l’absence d’infrastructures et pour de meilleurs salaires. 
 
Le gouvernement de Fawez Al Sarraj est tributaire de différentes milices pour la sécurité dans la capitale. Celle-ci n’y est pas assurée, le nombre d’homicides et d’enlèvements pour rançons font de l’ancienne capitale l’une des villes les plus dangereuses du monde. Le maire de la ville a été enlevé en mars 2018 puis mystérieusement libéré au bout de 48 heures. En janvier 2019, après quelques mois d’accalmie relative, des affrontements ont eu lieu ente deux milices rivales, toutes deux forces supplétives du ministère de l’Intérieur qui ne possède ni armes ni véhicules. Celui-ci a accordé au groupe Tarhouna la protection extérieure de l’aéroport de Tripoli ce qui a déclenché la riposte armée et sanglante de la 7ème Brigade, sa milice rivale. 
 
La situation sécuritaire en Cyrénaïque est tout aussi préoccupante malgré l’offensive militaire de Haftar sur les groupes terroristes de Benghazi qui a duré de 2013 à 2017. Explosions de voitures piégées et de bombes déposées à la sortie de mosquées à Benghazi ont fait des centaines de morts en 2018. Aqmi, al Qaïda au Maghreb Islamique risque de reprendre du service lorsque les exfiltrés par l’occupant israélien et l’armée des Usa depuis la Syrie rejoindront le pôle stratégique important que constitue cette porte de l’Afrique. 
 
La crise migratoire, effet direct de la guerre
Mais après tout, la destruction d’un pays pour ses richesses minières et ses hydrocarbures (les Libyens paient en proportion de leur réserve en énergie fossile, la plus importante d’Afrique) est une pratique routinière pour la puissance dominante étasunienne même si elle accuse un déclin accéléré en ce moment. Les effets régionaux de l’anéantissement de l’Irak ont été contenus, aucun pays riverain en dehors de l’afflux de millions d’immigrés en Syrie et au Liban n’en a pâti directement. Tout un sous-continent a déstabilisé par la disparition de l’Etat libyen. L’onde de choc a gagné le Tchad, l’Algérie, la Tunisie, le Soudan, l’Egypte, le Mali, le Niger et le Nigéria, bien au-delà des pays strictement limitrophes. La porosité des frontières au tracé incertain sur des milliers de kilomètres d’une région dominée par des ethnies du désert aux traditions nomades laisse libre le passage dans les deux sens. Une fois exécuté Mouammar Gadhafi, les armes délivrées à la population pour son auto-défense ou prisses dans les entrepôts des casernes ont vite été disséminées et se sont retrouvées entre différentes mains, politiques ou criminelles. Pays d’accueil des migrants sahéliens qui y trouvaient du travail en abondance, la Libye s’est transformée en piège ne leu offrant au mieux que la possibilité d’être enrôlés dans les milices, sinon d’être pillés, torturés, vendus quand leur destination n’est pas la noyade en Méditerranée. 
 
Le flux du mouvement migratoire vers l’Europe est sévèrement limité par Frontex, l’agence européenne dédiée à cette réduction. 
 
Les accords passés entre l’Union européenne avec la Goumhourya arabe libyenne avaient affecté des moyens financiers et techniques pour que soient maintenues fermées les ‘vannes migratoires’. Actuellement, un tel accord est impossible car le pays est disputé par des factions rivales et des centaines de milices et de bandes criminelles. 
 
Or c’est l’Italie qui voit arriver sur ses côtes l’essentiel de l’afflux migratoire (181 000 migrants en 2016) une fois fermée la route des Balkans après l’accord scellé en 2016 avec la Turquie qui a reçu une enveloppe de 6 milliards d’euros. Les forces libyennes devront empêcher les départs vers l’Europe pour 400 millions d’euros, contrat inefficace et controversé compte tenu du sort épouvantable et documenté qui attend les refoulés en Libye. 
 
Discorde italo-française
L’Italie accuse la France d’être responsable du chaos survenu en Libye. 
 
Le gouvernement issu de la coalition 5 Etoiles et de la Ligue reproche à la France son hypocrisie concernant la crise des migrants. La situation instable en Libye résulte de l’initiative militaire française qui a destitué Gadhafi. Les charges de Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur et chef de la Ligue, contre Macron sont particulièrement véhémentes. Il lui reproche de faire fermer aux migrants les frontières les frontières franco-italiennes et de refuser l’accès aux ports français des navires des ONG chargés de refugiés en détresse. 
 
Il y a bien entendu plus que cela comme motif de conflits entre la France et l’Italie. La sourde bataille du budget italien qui ne respectait pas à la lettre les recommandations de l’austérité imposée par la Commission européenne (entendre ici les mesures budgétaires dictées à la zone euro pour la défense de l’euro-deutschemark) est une toile de fond sérieuse sur laquelle se projettent toutes sortes de désaccords. Le budget concocté par l’alliance M5S et Ligue comportait un volet social crucial pour une jeunesse qui connaît à 40% le chômage. Il devait opérer une relance keynésienne pour un pays en récession ou en tous les cas sans croissance réelle depuis 2000. Le bras de fer a été engagé surtout avec la France, Merkel était affaiblie sur le plan national et européen. Il s’est conclu par un compromis, l’Italie ne s’est pas encore décidée à quitter le bateau de l’UE même si elle a porté au contrat qui l’y rattache plusieurs accrocs. 
 
Rome considère par ailleurs qu’elle est lésée dans sa souveraineté économique. Vivendi est devenu le premier actionnaire de Telecom Italia et le deuxième de Mediaset, le groupe de la famille Berlusconi, en total respect du dogme européen de la concurrence libre et non faussée alors que la France a saisi la Commission européenne quand le groupe Fincantieri a voulu racheter les Chantiers de l’Atlantique. 
 
La discorde libyenne, c’est aussi l’affrontement sur des intérêts pétroliers, la France défend le groupe Total et l’Italie ENI d’autant que la Libye est une ancienne colonie italienne. Berlusconi qui avait signé des contrats économiques d’importance en 2008 avec la Gomouhouria arabe libyenne en 2008 qui lui réservait l’exploitation du quart de son pétrole et du tiers de son gaz était au départ réticent à emboîter le pas à Sarközy dans son ambition de conquête destructrice de la Libye. Après y avoir été contraint par le parrain étasunien, il revint sur l’absence de fondement à cette ingérence injustifiée d’inspiration française dans les affaires d’un pays tiers. Il déclarait dès 2011 qu’en aucun cas il ne s’est agi d’un soulèvement populaire mais d’une tromperie façonnée par les Français. 
 
Profusion d’acteurs
Autant dire que le passif entre les deux signataires des Traités de Rome, de Maastricht et de Lisbonne est lourd. 
 
A la conférence organisée par l’Elysée à Paris le 29 mai 2018, Rome répond par une autre organisée à Palerme en novembre de la même année. 38 délégations ont fait le déplacement. Cette offensive diplomatique a adopté un calendrier, plus réaliste, qui envisage avant toute chose la tenue d’une conférence de réconciliation puis d’un référendum qui donnera un cadre institutionnel aux élections législatives puis présidentielles. 
 
Dans cette équation libyenne à multiples inconnues dont le nombre lui-même est indéterminé tant les acteurs abondent depuis Sissi jusqu’à Idriss Déby maintenant entiché de Netanyahou, à Alger l’encore fier chantre de la décolonisation et manipulateur de la cause des Touaregs au Mali et Mohammed VI lui-même qui vient d’affirmer ‘la sécurité des pays arabes revient aux Arabes’ , le Qatar et la Turquie embusqués derrière al Sarraj, les Emirats arabes unis et les Bédouins du Nedjd à peine camouflés derrière Haftar l’anti-Frères Musulmans, le jeu reste ouvert. 
 
Il est probable que Giuseppe Comte a requis la neutralité russe et a obtenu le soutien appuyé d’un Trump enferré dans ses déclarations et postures anti-migratoires. Pour ceux qui poutinophobiques voient la main de la Russie partout, il faut rappeler l’existence d’une base militaire étasunienne au Niger, à côté d’une allemande mais également d’une italienne. 
 
Les frappes américaines en Libye ont commencé très tôt, dès 2011. L’activité a connu une intensification à l’été 2016 à la demande de Fayez al Serraj qui a déclaré avoir restreint l’aide à des frappes limitées dans le temps et ciblées sur les poches de terroristes à Syrte. D’après l’organisme Airwars, Syrte a été le champ d’expérimentation de frappes de drones en milieu urbain en coopération avec des forces locales et étasuniennes. Leur nombre et leur rythme ont été bien plus conséquents que celles qui ont visé l’Irak ou la Syrie. Menées depuis des territoires éloignés de ceux où ces opérations sont effectuées, elles sont le plus souvent tenues secrètes. De plus, l’administration Trump a assoupli les restrictions sur les frappes de drones menées en dehors des zones de conflit armé. 
 
Le dossier épais et à entrées multiples de la ‘crise libyenne’ a été remis sur le métier par l’Union africaine en février 2019. Son 32ème sommet à Addis Abeba s’est achevé sur le projet de rétablir un dialogue inter-libyen en juillet. Les Africains reprennent la main et bousculent le représentant de l’ONU, Ghassan Salamé, l’homme de la France. 
 
Une Libye encore à naître
Les mécanismes de réajustement d’un monde qui a connu en moins de trente ans une hégémonie indiscutée des Usa puis sa remise en cause sérieuse par la levée du bloc russo-chinois peinent à se mettre en place. Les alliances se composent et se défont à la faveur des offres de ceux qui se veulent les nouveaux champions ou les arbitres d’un univers géopolitique très fluide et mouvant. 
 
Les effets du désastre libyen (fomenté par une piètre équipe française) menacent l’équilibre des forces au sein de l’Union européenne à travers la compétition d’une Italie terre d’accueil de bases américaines et une France qui n’a plus les moyens de son arrogance et qui ne cesse d’enregistrer des reculs dans son territoire de projection de prédilection, l’Afrique. 
 
L’Egypte et la Turquie s’y confrontent à fleurets mouchetés, déléguées d’une autre compétition installée dans le monde arabe et musulman, le Qatar versus les Emirats et le Bédouins du Nedjd. 
 
Dans cette atmosphère de recomposition qui n’est pas sans rappeler l’époque des pourparlers sordides entre les puissances de la fin du 19ème siècle pour le partage de l’Afrique, l’Entente Cordiale, la Libye appelle à sa délivrance, à renaître. 
 
La vigie Marocaine
 
 

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