L'UE et l'Afrique tiennent sommet à Lisbonne

L'Union européenne a rendez-vous ce samedi avec l'Afrique pour nouer un partenariat stratégique afin de rénover un modèle de coopération archaïque et tenter de contrer les coups de boutoir de la Chine.

Les dirigeants de 53 pays africains et des 27 pays de l'UE se réunissent pour deux jours à Lisbonne au plus haut niveau, pour la première fois depuis leur rencontre du Caire en 2000.


"Ce n'est pas un sommet ordinaire, je le vois comme un nouveau départ dans les relations entre les deux continents", a déclaré le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. "Jusqu'à présent, nous avons eu une politique pour l'Afrique. Il nous faut une politique avec l'Afrique."

Des susceptibilités ont failli faire capoter l'exercice.

La présidence portugaise de l'Union européenne, qui tient à ce sommet comme à la prunelle de ses yeux, a invité le dirigeant du Zimbabwe, Robert Mugabe, qui est accusé de violer les droits de l'homme et d'avoir précipité son pays dans la misère.

C'était le prix à payer pour obtenir la venue des chefs d'Etat et de gouvernement africains, qui refusaient aux Européens le droit de sélectionner les participants du continent noir, mais le Premier ministre britannique Gordon Brown boycottera le sommet pour protester contre la présence d'un homme qui a, selon lui, dévasté l'ex-Rhodésie britannique.

Mais pour la plupart des Européens la polémique sur la venue de Mugabe, dont le régime est soumis à des sanctions, ne pouvait pas empêcher d'organiser une réunion indispensable.

L'EUROPE PERD PIED EN AFRIQUE

Le Vieux Continent, qui a maintenu depuis l'indépendance des pays africains une relation plutôt paternaliste essentiellement basée sur l'aide au développement qui revient en Europe sous forme de contrats, a en effet l'impression de perdre pied en Afrique face aux pays émergents, en particulier la Chine.

A la recherche de matières premières et de pétrole pour alimenter son extraordinaire croissance économique, la Chine y a accru massivement son influence politique et économique au moment où l'Afrique sub-saharienne semble engagée sur la voie de la croissance, qui s'est élevée à 6% du PIB en 2006.

Douze transitions démocratiques ont eu lieu ces dernières années en Afrique et les conflits armés sont en réduction, ce qui accroît encore son attractivité pour les investisseurs.

"L'Afrique est devenue aujourd'hui un enjeu véritable géostratégique", a estimé le commissaire européen au Développement, Louis Michel, lors d'une conférence de presse.

Les dirigeants des 80 pays représentés veulent donc nouer Lisbonne un nouveau partenariat stratégique pour remplacer les schémas dépassés qui concernera les liens politiques, mais aussi des domaines aussi divers que l'immigration, le commerce et l'énergie, notamment pour contrebalancer l'influence chinoise.

Khaled Charguaoui, président du Centre marocain pour les droits de l'homme, un organisme indépendant, est du même avis.

"les deux parties doivent penser en termes de partenariat et de complémentarité afin de mener l'Afrique sur la voie d'un développement soutenable", a-t-il récemment estimé.

INTÉRÊT BIEN COMPRIS

L'Union européenne reste le principal partenaire commercial de l'Afrique, avec des échanges cumulés de 215 milliards d'euros, largement en faveur des pays africains, dont les biens pénètrent presque sans droits sur le marché européen.

Le déficit commercial de l'UE avec l'Afrique s'est élevé en 2006 à 35 milliards d'euros, soit 18% du déficit global de l'UE, la France et l'Italie étant les principaux partenaires commerciaux du côté européen tandis que l'Afrique du Sud, l'Algérie et la Libye mènent le bal du côté africain.

L'Europe a fourni une aide au développement de 35 milliards d'euros en 2006 et 10 milliards d'euros supplémentaires devraient chaque année y être consacrés à partir de 2010.

Mais la Chine a effectué un bond spectaculaire, puisque ses échanges avec l'Afrique ont représenté 43 milliards de dollars en 2006 et il ne s'agit pas seulement de commerce.

L'Union européenne estime que la Chine est peu regardante en matière de droits de l'homme dans ses relations avec les pays africains, comme le démontre son soutien au Soudan lorsque celui-ci traîne des pieds pour accepter l'envoi d'une force internationale de paix pour arrêter la tragédie du Darfour.

"Il y a une idée que les Européens doivent oublier une fois pour toutes, c'est que l'Afrique est une chasse gardée européenne. Ça, c'est fini", a expliqué Michel.

Pour ce dernier, il est normal que l'Afrique se tourne vers d'autres partenaires, mais l'Europe est l'allié naturel puisque les langues sont les mêmes, les élites africaines ont étudié sur le Vieux Continent et la diaspora africaine y est puissante.

L'objectif du partenariat stratégique est de mettre les deux parties sur un pied d'égalité et, sans diminuer l'aide au développement, de doper le commerce et les investissements.

Pour Michel, il faut démontrer aux Africains que c'est avec l'Europe qu'ils peuvent avoir le meilleur partenariat politique et économique: les autres pays leur proposent surtout des prêts qui risquent d'être lourds à porter dans quelques années.

Il est également de l'intérêt bien compris de Européens de voir l'Afrique se développer: c'est vers le Vieux Continent que les vagues migratoires venues d'Afrique se dirigent.

Mais les bonnes paroles se heurtent parfois à la réalité.

Nombre de pays africains rechignent en effet à signer avec l'UE les Accords de partenariat économique (APE) qui leur sont proposés pour se mettre en conformité avant la fin de l'année en conformité avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Cette dernière a en effet jugé illégales les préférences commerciales dont les Africains bénéficient sur le marché européen et l'UE leur offre de signer des accords qui ont pour but le libre-échange à terme, un objectif redouté en Afrique.


Reuters

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