Yawatani

Le mandat du premier gouvernement islamiste de l'histoire du royaume, dirigé par Abdelilah Benkirane, touche à sa fin. Passage en revue de ses tops et de ses flops.

Six mois ! Pas plus de six mois séparent les Marocains des prochaines législatives, les deuxièmes sous la nouvelle Constitution, laquelle permet au parti vainqueur de former un gouvernement. Abdelilah Benkirane et le Parti de la justice et du développement (PJD) s’y préparent activement. Ce dernier s’attelle à l’organisation d’un congrès exceptionnel d’ici à l’été pour prolonger d’un an le mandat de son secrétaire général. Et pour cause, le parti islamiste sait que ses chances de remporter les législatives reposent en grande partie sur son leader.

« Benkirane a confirmé son statut d’animal politique. Fort d’une popularité phénoménale, il a en outre su tenir ses troupes, tout en faisant preuve d’un grand pragmatisme pour naviguer dans un environnement national et régional houleux », analyse un politologue. Que ce soit avec l’institution monarchique, la classe politique, le monde des affaires ou encore la rue, le chef du gouvernement a en effet manœuvré assez habilement, mais au prix de concessions dont son bilan se ressent. Un bilan assez mitigé, mais qui n’a rien à envier à ceux de ses prédécesseurs. Passage en revue d’une première expérience islamiste dans un royaume où il faut composer avec différentes sphères du pouvoir…

La scène se déroule le 4 février 2016 à Ouarzazate. Face aux caméras du monde et devant des invités de prestige, Mohammed VI s’apprête à inaugurer la centrale solaire Noor, un mégacomplexe devant approvisionner en électricité un million de foyers. Mais le roi semble chercher quelqu’un. Benkirane se fraie alors un chemin dans la foule de hauts responsables pour rejoindre sa place, juste à droite du souverain, qui l’accueille tout sourire. Cette entorse cocasse au protocole makhzénien réglé au millimètre en dit long sur les rapports que le chef du gouvernement entretient avec le chef de l’État. En présence du roi, Benkirane sait revendiquer son rang tout en se montrant flexible. « Ne comptez pas sur moi pour aller dans la confrontation avec Sa Majesté », ne se lasse-t-il de répéter pour répondre à ceux qui lui reprochent de ne pas exploiter pleinement le potentiel de ses nouvelles prérogatives constitutionnelles. Car, très vite, le premier chef de gouvernement sous la nouvelle Constitution a cédé du terrain à l’institution monarchique.

SAMUEL ARANDA/CORBIS

La relation entre le PJD et la monarchie

Dès ses premières semaines aux affaires, le PJD est pris de court par une proposition de loi organique listant les entreprises stratégiques du pays, celles dont les patrons sont nommés par le roi. Les grands établissements publics, fer de lance de la mise en œuvre de la politique économique et sociale, échappent ainsi à un gouvernement qui n’inspire pas confiance, ni par ses compétences ni par sa doctrine ultraconservatrice. Depuis, le PJD et son leader ont avalé bien des couleuvres au gré des arbitrages royaux : langue de l’enseignement, fonds de développement du monde rural…

« Plus le temps passe, plus le PJD démontre que c’est un parti qui a compris le rapport des forces entre le pouvoir attribué par les urnes et le pouvoir historique et légitime de la monarchie, nous explique un politologue qui a contribué à la rédaction de la nouvelle Constitution. Le PJD a aussi compris qu’il était préférable de ne pas exercer pleinement le pouvoir et de rester à l’écart des affaires diplomatiques, militaires ou religieuses. » Les grands dossiers sont demeurés l’apanage du Palais, Benkirane se gardant bien de s’aventurer sur ces sentiers périlleux. De plus, lui qui, au début de son mandat, n’hésitait pas à fustiger l’entourage royal a calmé ses ardeurs au fil du temps. Les termes « crocodiles » ou « fantômes » qu’il utilisait pour qualifier le présumé « shadow cabinet » de Mohammed VI ne font plus partie de ses éléments de langage. Désormais, il préfère parler de « confiance de Sa Majesté » et réserve ses piques à ses adversaires politiques.

Benkirane a dû se séparer de collaborateurs empêtrés dans des scandales, comme Mohamed Ouzzine

Un conseiller qui exhibe son ventre en séance parlementaire, des banderoles hostiles au chef du gouvernement en plein hémicycle… Les rendez-vous mensuels de Benkirane au Parlement ont souvent tourné au show, surtout lors de ses passages devant la Chambre des conseillers. Car le PJD a dû cohabiter jusqu’en novembre 2015 avec une seconde chambre où il n’avait aucun siège. Ce n’est pas pour autant que la machine législative s’est grippée : en 2014 déjà, le porte-parole du gouvernement, Mustapha Khalfi, évoquait « l’approbation de 247 lois par l’exécutif actuel, soit plus que le bilan législatif d’un gouvernement durant tout un mandat ».

Pourtant, Benkirane a dû gérer une majorité vacillante. Il a même dû la recomposer en 2013 (après le retrait de l’Istiqlal) et pactiser avec le Rassemblement national des indépendants (RNI). Au passage, il a renoncé à de grands départements, comme les Affaires étrangères ou l’Industrie et le Commerce. Dans la foulée, même le ministère de l’Intérieur, qui avait vu pour la première fois, en 2012, un responsable politique (Mohand Laenser) arriver à sa tête, est redevenu un ministère de souveraineté chapeauté par un technocrate, Mohamed Hassad.

Dans les grands partis de l’opposition, le mandat du PJD a coïncidé avec l’émergence d’une nouvelle classe de leaders

Benkirane a dû également se séparer de collaborateurs empêtrés dans des scandales : Mohamed Ouzzine, à cause d’un stade inondé lors du match d’ouverture de la Coupe du monde des clubs, ou encore le couple Choubani-Benkhaldoun, dont l’idylle a tenu en haleine l’opinion. Des affaires qui ont donné du grain à moudre aux adversaires de Benkirane. Dans les grands partis de l’opposition, le mandat du PJD a coïncidé avec l’émergence d’une nouvelle classe de leaders.

Hamid Chabat et Driss Lachgar ont été élus à la tête respectivement de l’Istiqlal et de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) en 2012. À ces deux personnages, connus pour leur agressivité envers Benkirane, est venu s’ajouter le plus redoutable de tous : Ilyas El Omari, porté en janvier dernier à la tête du Parti Authenticité et Modernité (PAM). Le duel de titans entre les deux hommes à l’occasion des prochaines législatives promet d’être palpitant. Et le bilan économique du gouvernement sera sans doute l’un des principaux thèmes de campagne. D’ailleurs, le RNI commence déjà à se dédouaner des réalisations de l’exécutif.

Benkirane et le patronat 

Juin 2013. Recep Tayyip Erdogan se rend pour la première fois dans le royaume, accompagné d’une centaine d’hommes d’affaires turcs venus rencontrer leurs homologues marocains. Mais, à la surprise de tous, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) est écartée de l’organisation du volet économique de la visite. C’est plutôt un club de patrons confidentiel, Amal Entreprises, estampillé proche des islamistes, qui prend le relais. Les membres de la CGEM voient dans cette manœuvre une tentative de favoriser l’émergence d’un nouveau patronat. Le parallèle avec le Musaid turc, monté en puissance avec l’arrivée au pouvoir de l’AKP d’Erdogan, est vite fait. Boycotté par le syndicat des patrons, l’événement tourne au fiasco.

Amal Entreprises retombe dans l’anonymat, mais les relations entre le PJD et la CGEM en ont beaucoup pâti. Pourtant, elles avaient bien commencé au début du mandat de Benkirane, qui échangeait blagues et compliments avec Meriem Bensalah, patronne des patrons. Deux ans plus tard, quand la loi organique de la seconde chambre est débattue au Parlement, le PJD ne voit même aucun inconvénient à ce que la CGEM compte un groupe de huit conseillers. « Le PJD a vite retenu la leçon et compris qu’il ne serait pas aisé de remplacer une confédération historique riche de ses 2 500 membres par une petite association rassemblant moins de 500 entreprises, pour la plupart des PME », analyse un membre de la CGEM siégeant aujourd’hui à la seconde chambre.

Les rapports avec le patronat auraient été encore plus délicats pour Benkirane sans l’appui de ministres proches du milieu des affaires, comme Aziz Akhannouch et Moulay Hafid Elalamy, deux capitaines d’industrie qui ont joué les intercesseurs. C’est à eux, entre autres, qu’est revenue la tâche de faire passer au patronat la pilule de l’augmentation du salaire minimum de 10 % en 2014. La conjoncture de crise a par ailleurs compliqué la tâche du gouvernement, dont les objectifs affichés sont loin d’être atteints. Alors que Benkirane promettait un taux de croissance moyen de 5,5 %, la meilleure progression du PIB s’est limitée à 4,3 % en 2013. Idem pour le chômage, censé être ramené à 8 % à la fin du mandat, alors qu’il tourne encore aux environs de 10 %. « Le gouvernement Benkirane n’est pas le premier à ne pas avoir atteint ses objectifs de croissance, commente notre patron parlementaire. Cela dit, le gouvernement aurait pu aller plus vite sur des dossiers cruciaux pour les entreprises. »

Son rapport avec les syndicats

Casablanca, le 20 mars 2016. Une énième manifestation des enseignants stagiaires tourne au sit-in contre Benkirane. À ces protestataires qui dénoncent des décrets conditionnant leur embauche dans la fonction publique, se sont ralliés des partis comme le PAM ou l’USFP, mais aussi des syndicats. Ces derniers se sont ligués contre le chef du gouvernement dès 2013, lui reprochant une réforme cavalière de la caisse des retraites des fonctionnaires. « Benkirane et son gouvernement sont pleins de bonnes intentions, mais ils manquent de savoir-faire. Leur tentation de passer en force n’est certainement pas la meilleure option », commente Mohamed Daidaa, conseiller du groupe de travail progressiste.

En effet, s’agissant de cette réforme impopulaire, Benkirane ne semble pas près de plier face à la pression de syndicats de moins en moins représentatifs. C’est qu’il est déjà dos au mur puisque cette caisse de retraite a affiché un déficit de 3 milliards de dirhams (276 millions d’euros) en 2015, et ses réserves devraient être totalement épuisées d’ici à 2021 sans une réforme paramétrique. Benkirane s’est retrouvé dans la même configuration au début de son mandat après la flambée des subventions des hydrocarbures. Les dépenses de la compensation avaient atteint, à fin 2012, 60 milliards de dirhams, creusant un peu plus le déficit public et obligeant Benkirane à amorcer la décompensation. La conjoncture lui a été favorable dans la mesure où le cours du baril s’est effondré, maintenant les prix à la pompe à des niveaux raisonnables. Le chef du gouvernement n’a pas pu pour autant lever les subventions sur d’autres produits, comme le gaz butane, la farine ou le sucre, le coût de la vie n’ayant cessé d’augmenter sous son mandat.

Cette année en particulier, avec le retard des pluies, les prix de certains fruits et légumes ont flambé. « C’est trop facile de tout mettre sur le dos du gouvernement. Si le kilo d’oignons a atteint un certain temps 10 dirhams, c’est juste pour une histoire d’offre et de demande, et surtout de spéculation, que nous avons limitée à travers des opérations de contrôle », explique un responsable gouvernemental. Idem pour la hausse des prix de l’eau et de l’électricité, qui avait provoqué des manifestations (dites de la bougie) à Tanger, en novembre 2015, quelques jours seulement après que le parti islamiste a décroché la présidence du Conseil de la ville. Là encore, la hausse a été plus que nécessaire pour permettre une continuité d’activité à l’Office national de l’eau et de l’électricité (ONEE), en proie à de graves difficultés financières.

Ces mesures impopulaires risquent-elles d’altérer le capital sympathie de Benkirane ? Pas si sûr, le PJD ayant réussi à obtenir 1,5 million de voix lors des communales du 4 septembre 2015, alors qu’il n’en avait récolté que 1 million en 2011, lesquelles lui avaient suffi pour remporter 107 sièges à la Chambre des représentants. Une tendance qui laisse à penser que le PJD garde toutes ses chances de décrocher un deuxième mandat en octobre prochain.


CORRUPTION, L’IMPOSSIBLE CHANTIER

Dans l’une de ses premières interviews télévisées, Abdelilah Benkirane avait affirmé : « Le gouvernement ne pourra pas éradiquer l’économie de rente et la corruption. » Et il est vrai que, dans ces domaines, « le bilan est nul, et la volonté politique fait encore défaut », comme le souligne Fouad Abdelmoumni, secrétaire général de Transparency Maroc. Sur la base de l’Indice de perception de la corruption, élaboré par cette ONG internationale, le royaume est resté figé au 88e rang mondial des pays les plus corrompus de la planète entre 2012 et 2016. Les premières listes des agréments de transport ou d’exploitation de carrières de sable, divulguées par le gouvernement à ses débuts, ont vite tourné aux simples effets d’annonce. Et sont restées presque sans suite…

 

Jeune afrique

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