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Assurément, la sortie d'Hervé Morin est maladroite, et éloignée de la réalité des raisons des échecs précédents du Rafale à l'exportation. Pire qu'un crime, une faute, hurle l'entourage de l'avionneur. Sauf qu'à ce moment-là, le ministre de la Défense ne « trahit » personne.


Toulouse, 11 septembre 2007. Militaires, industriels, parlementaires et délégations étrangères écoutent Hervé Morin. Pour sa première participation aux 5es Universités de la défense, le nouveau ministre de la Défense égrène les menaces qui pèsent sur le monde, précise les impératifs stratégiques de la France, et insiste sur la nécessaire modernisation des armées. Très attendu, le discours reste sans surprise. Des questions, mais peu de réponses. Jusqu'à cette phrase, cinglante, sur le Rafale : un avion - dit-il - « très sophistiqué et difficile à vendre ». « Quand les Américains emportent les contrats, c'est souvent avec des F16 d'occasion. » Le procès de « course perpétuelle à la technologie » de l'armement made in France est ouvert. Une claque pour Dassault...

C'est la stupeur dans la salle. Tous les spécialistes s'insurgent : si la France exporte des armes, ce n'est pas en produisant du matériel rustique ! Pourquoi cette déclaration assassine au moment où le Maroc négocie l'achat de l'avion de combat de Dassault, toujours à la recherche de sa première référence export ? Une annonce est même espérée fin octobre, à l'occasion de la visite officielle de Nicolas Sarkozy.Photo illustrant l'Article Assurément, la sortie d'Hervé Morin est maladroite, et éloignée de la réalité des raisons des échecs précédents du Rafale à l'exportation. Pire qu'un crime, une faute, hurle l'entourage de l'avionneur. Sauf qu'à ce moment-là, le ministre de la Défense ne « trahit » personne. Depuis juillet, il sait, tout comme Dassault, que le Rafale a perdu la partie marocaine face au F16 américain. Et ni l'hypertechnologie ni la parité euro-dollar ne sont en cause. C'est un pur gâchis franco-français phénoménal, une défaite emblématique des carences de l'organisation politico-administrative à l'export. Jamais ce contrat n'aurait dû échapper à la France. « On est passé si près du but », commente, dégoûté, un responsable du ministère de la Défense, qui dénonce « une incurie générale ».

Tout a réellement commencé début 2006 quand le roi Mohammed VI fait part à Jacques Chirac de sa volonté d'acheter 25 avions de chasse français. Le contexte régional vient de changer : le voisin algérien a acheté à Moscou des Mig et des Sukhoï dernier cri. En face, Rabat n'aligne que des vieux Mirage F1, en cours de modernisation, et des F5 américains à bout de souffle. Il faut d'urgence montrer ses muscles. Et comme les armées marocaine et française sont historiquement très liées, c'est tout naturellement que le roi se tourne vers l'Elysée.

Chez Dassault, on ne peut rêver mieux : pas d'appel d'offres et un choix acté au plus haut niveau du palais. En coordination avec les services du ministère de la Défense, l'avionneur présente à l'armée de l'air marocaine les deux options possibles : des Mirage 2000 prélevés en France qu'on modernise, à l'image de ce qui est fait avec le Brésil, ou des Rafale. Le roi tranche pour les avions de dernière génération.

A l'été 2006, Dassault remet une première offre ferme portant sur 18 Rafale pour 1,8 milliard d'euros. Tout se présente bien. Jusqu'au premier couac. Prudents, les Marocains sondent la Délégation générale de l'armement (DGA) pour connaître les prix des Rafale vendus à l'armée de l'air française. « Habituellement, on s'arrange pour répondre sans répondre à ce genre de sollicitation », explique un bon connaisseur de l'institution. Rabat obtient pourtant (sur instructions de la Défense, selon nos informations) le prix français... qui s'avère significativement inférieur à celui proposé aux Marocains par Dassault. Fureur de l'avionneur et du client. « C'est sûr, ça a contribué au plantage et on a payé l'absence de décision sur la stratégie commerciale », explique-t-on (lire ci-dessous).

Les discussions se poursuivent néanmoins. Fin décembre, la facture grimpe à 2,6 milliards d'euros en y ajoutant la maintenance et les équipements. Chaque partie lâchant du lest, elle se stabilise finalement à 2,1 milliards. Reste à savoir comment les Marocains vont payer. Et là, deuxième plantage. Depuis des mois, à Paris, on s'illusionne sur une manne des Saoudiens, grands pourvoyeurs du Trésor marocain. La piste n'a jamais existé. La preuve : en mars 2007, Rabat transmet à Paris une demande de financement.

Succession de réunions
Bercy étudie le dossier et émet un avis négatif. Trop risqué. La Défense pousse, en revanche. Les réunions se succèdent à haut niveau. Mais, à l'approche des élections, Matignon, en accord avec l'Elysée, ne tranche pas. Ce qui revient à dire non... à Mohammed VI. Le nouveau gouvernement s'installe, découvre le dossier, mais l'aborde « de manière abstraite et avec des préjugés », explique-t-on de bonnes sources... Nicolas Sarkozy tranche finalement à la mi-juillet : O-K pour un financement à 100 %, et les 15 % d'acompte habituellement versés en cash dans ce genre d'affaire seront financés sur crédit bancaire. Le solde le sera également par crédit, mais avec garantie de la Coface pour compte de l'Etat. Mais il est alors trop tard, les Marocains ne répondent plus. Car, entre-temps, Washington s'est engouffré dans la brèche de l'indécision française.

« Tout s'est joué en juillet quand le principe du deal avec les Américains a été acquis », confirme une source proche des négociations. La proposition américaine : 24 F16 neufs de Lokheed Martin, pour 2,1 milliards de dollars, le tout appuyé (monnayé ?) par l'engagement de Washington à soutenir la position de Rabat sur le Sahara occidental. A l'appui de cette offre, les Américains versent opportunément un don de 700 millions de dollars au Maroc via l'organisation Millennium Challenge Corporation, une agence gouvernementale d'aide aux jeunes démocraties. Mais le pire, c'est qu'à Paris ce n'est pas une surprise, car la DGSE est parfaitement au courant des menées américaines depuis... mars !

L'offensive américaine
C'est à cette époque, en effet, qu'une première offre non sollicitée est faite à Rabat, à base de F16 d'occasion. Le roi en est informé. Fidèle à sa parole, il fait tout pour l'écarter, et reconfirme à Jacques Chirac son souhait d'acquérir des avions français. Deuxième offensive commerciale quelques semaines plus tard. Cette fois-ci, l'accueil est plus positif : l'offre est prise en considération, mais ne convient pas. Tenaces, les Américains s'accrochent et repartent à l'assaut en mai. Ils ne décrocheront plus, profitant alors à plein de la non-décision de Paris, avant et après la présidentielle, sur la demande de financement des Marocains...

Fin juillet, tout est perdu. Le palais fait connaître sa décision début septembre. Dans la foulée, l'ambassadeur français au Maroc est rappelé à Paris pour voir comment rattraper le coup pour la venue de Nicolas Sarkozy. Soutenu par les industriels français, le Salon aéronautique du Maroc, que le président devait inaugurer, est repoussé de trois mois... Cette affaire illustre « l'incapacité de l'administration à comprendre les enjeux et à y répondre le plus vite possible », résume un haut fonctionnaire. Tout était en place pour « tuer le match » avant l'élection présidentielle - et Jacques Chirac avait sans doute la possibilité de le faire - ou juste après. Et pour ajouter au gâchis général, Paris n'a pas su arbitrer entre les différents contrats d'armement en cours de négociation avec le Maroc (troisième plantage).

Aujourd'hui, la susceptibilité de tous les acteurs du dossier est à vif. Le gouvernement a compris l'urgence absolue de changer le dispositif d'exportation des armements français. Consolation qui n'effacera pas cet échec cuisant, Rabat vient de signer un accord pour l'acquisition d'une Frégate multimission. Pour un peu moins de 500 millions d'euros...

lesechos.fr

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