Yawatani

« Je n’ai aucune envie de m’exposer. Mais je veux connaître la vérité. » Eclipsée par les effusions de Jeannette Bougrab, Valérie M. est désignée par les enquêteurs comme la compagne de Charb, celle avec qui il entretenait une relation suivie depuis quatre ans.

 

Le 7 janvier, au matin de l’attaque perpétrée par les frères Kouachi, c’est à ses côtés que le directeur de la rédaction de « Charlie Hebdo » s’est réveillé. Son histoire sentimentale mais aussi son statut de personne extérieure au journal satirique faisaient d’elle une confidente privilégiée du dessinateur. Sous couvert d’anonymat, elle a accepté d’évoquer les derniers jours passés auprès du journaliste, marqués par des événements troublants.

Comment votre relation a-t-elle commencé ?

VALÉRIE M. Nous avons un ami proche en commun. J’ai fait la rencontre de Charb une première fois il y a dix ans, sans qu’il ne se passe rien. Je l’ai revu plus longuement en 2010, et les choses se sont faites naturellement. Je vis loin de Paris, notre relation n’était donc pas continue, même si elle est devenue plus sérieuse vers la fin. Cela étant, il faut comprendre que Charb rejetait l’idée même d’une relation sérieuse et se voyait comme un éternel célibataire. Notre histoire, comme celles qu’il a pu avoir avec d’autres femmes, n’avait donc rien d’exclusive.

Quel était son état d’esprit les jours précédant l’attentat ?

Nous étions ensemble l’avant-veille, la veille et le matin du drame. Au premier abord, il n’y avait rien d’anormal à signaler. Charb avait un peu relâché sa vigilance et se passait souvent de ses gardes du corps. Il était censé les prévenir de chacun de ses déplacements, mais il ne le faisait que rarement, hormis lors de ses sorties publiques et pour ses trajets au journal, où il était conduit en voiture par eux. Il s’entendait très bien avec ces policiers, certains sont même devenus des copains, mais cette présence permanente lui pesait. Il avait d’ailleurs fait une demande de port d’arme au ministère de l’Intérieur quelque temps avant l’attaque. Il voulait pouvoir se protéger tout en reprenant une vie un peu plus normale. Faire du vélo, par exemple, ça lui manquait.

Que s’est-il passé le matin de l’attaque ?

Nous avons passé la nuit chez lui, dans le quartier Montorgueil. Après le réveil, Charb est parti chercher des croissants à la boulangerie. En revenant, il avait l’air soucieux : il m’a raconté avoir repéré en bas de son immeuble une voiture noire aux vitres teintées, de marque Peugeot ou Renault, je ne me rappelle plus précisément. Il n’était pas du genre à s’inquiéter pour rien, mais là, ça le perturbait. Il répétait : « C’est bizarre cette voiture. » La discussion a dévié et il m’a dit qu’il ne recevait plus tellement de lettres de menaces depuis quelques mois, et qu’il serait intéressant de refaire le point avec la police sur ses besoins en termes de sécurité. Après quoi, il est parti pour la conférence de rédaction. Il avait l’intention de revenir travailler chez lui après. J’ai quitté l’appartement environ une heure et demie plus tard, sans clé, simplement en claquant la porte. Qui était dans cette voiture ? Les frères Kouachi ? Des complices ? J’ai parlé de cet épisode aux policiers qui m’ont entendue, et j’ai écrit à la juge chargée du dossier cet été pour lui rappeler cet élément, mais je n’ai aucun retour depuis.

« Charlie Hebdo » était-il menacé ?

Financièrement, oui. A l’automne 2014, la santé financière du journal était catastrophique. Charb me disait qu’il devait trouver 200 000 € avant la fin de l’année pour ne pas fermer boutique en 2015. Les appels aux dons n’avaient pas suffi à redresser les comptes. Il s’est mis à chercher des fonds un peu partout, sans trop en parler à ses copains de « Charlie » parce qu’ils ne voulaient pas les inquiéter. Dans cette quête, il a été mis en relation avec beaucoup de personnes différentes, parmi lesquels des hommes d’affaires, notamment du Proche-Orient, avec qui il passait des soirées. Il n’a jamais voulu me dire qui était l’intermédiaire qui lui permettait de rencontrer ces personnes. Il le désignait simplement en disant « mon contact ». En rentrant de ces soirées, il rigolait en me disant qu’il leur avait fait du charme, que ces gens-là étaient capables de lâcher 100 000 € comme on en dépense 10. Je n’ai jamais su non plus qui étaient ces riches hommes d’affaires.

Pourquoi jugez-vous cet épisode important ?

Parce que la veille de l’attentat, Charb m’a dit qu’il avait réussi à trouver l’argent manquant. Je lui ai demandé comment, il m’a répondu : « Mes soirées où je fais du charme à des riches dignitaires, eh bien ça a fini par payer ! » Je n’ai pas cherché à en savoir plus, mais je lui ai dit que cela pouvait être dangereux. Il a ajouté qu’il restait à se mettre d’accord avec les fournisseurs du journal pour régler les factures restantes. Aujourd’hui, je ne peux pas m’empêcher de trouver cette coïncidence troublante. Qui a payé ? Où se trouve cette somme et comment a-t-elle été réglée ? Peut-il y avoir un lien avec les événements du 7 janvier ? Les enquêteurs doivent s’y intéresser.

Vous avez également alerté les policiers sur un « mystérieux » cambriolage…

Le samedi qui a suivi le drame, je suis retournée avec le frère de Charb et quelques intimes dans son appartement. Nous avons découvert qu’il avait été visité, mis à sac, et des affaires emportées, parmi lesquelles des dessins et son ordinateur portable. Il me paraît indispensable de retrouver cet ordinateur portable qui contient sûrement des informations utiles à l’enquête. Or je m’étonne que les policiers qui ont recueilli mon témoignage n’aient pas eu l’air intéressés par cet élément. Un tel cambriolage, chez un défunt, quelques jours après le drame, ne mérite-t-il pas une enquête approfondie ?

Pourquoi vous exprimer aujourd’hui ?

Parce que j’ai le sentiment que la vérité sur l’attentat de « Charlie Hebdo » est encore loin, et je veux faire tout mon possible pour qu’elle éclate. Je m’étonne que les enquêteurs ne cherchent pas à savoir si d’autres personnes ou d’autres intérêts pourraient se cacher derrière les frères Kouachi. On ne peut pas se contenter de la seule thèse du terrorisme islamiste.

Une quête de fonds discrète
 
Qui Charb a-t-il rencontré pour tenter de renflouer « Charlie Hebdo » ? Interrogés sur ce sujet, plusieurs de ses proches avouent ne pas connaître l’identité précise de ces interlocuteurs du soir. « Il m’avait dit qu’il manquait effectivement environ 200 000 € dans les caisses, se rappelle l’urgentiste Patrick Pelloux, chroniqueur à « Charlie » et intime de Charb. Je sais aussi qu’il se démenait pour trouver de l’argent, même s’il était très discret là-dessus. Il m’a dit qu’il voyait des gens riches, des banquiers, des hommes d’affaires, mais je n’ai pas su qui exactement. En tout cas, il m’avait dit une fois en riant que certaines personnes qu’il voyait n’étaient pas vraiment dans l’esprit du journal, mais ce qui lui importait, c’était de sauver Charlie ». Un autre de ses proches, qui a souhaité rester anonyme, confirme cette quête discrète — « un sujet délicat pour Charb » — sans pouvoir se prononcer non plus sur l’identité des donateurs potentiels rencontrés. « Ce qui est sûr, c’est que les derniers jours, il se félicitait que la campagne de dons aux lecteurs ait bien fonctionné, rapportant environ 170 000 € », indique-t-il. Pour un membre de l’équipe de « Charlie », qui a lui aussi souhaité resté anonyme, l’hypothèse d’une telle campagne auprès de riches donateurs privés est, cependant, farfelue. « Je n’y crois pas du tout, c’est n’importe quoi », estime-t-il, rappelant que les statuts de « Charlie » n’autorisent que des dons et empêchent tout investissement extérieur aux salariés du journal. « Je vois mal un de ces riches hommes d’affaires mettre de l’argent dans une entreprise sans en attendre le moindre retour sur investissement. »
 
Leparisien.fr
 

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