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ENQUÊTE. L'arrivée en force des Subsahariens dans les années 90 a revitalisé les Églises du Maroc. Mais le chemin est loin d'être un long fleuve tranquille.

De très élégants jeunes gens, noirs, traversent le boulevard Zerktouni en direction de l'église du Sacré-Cœur. Les rues sont presque vides en ce dimanche matin. Au même moment, à quelques kilomètres, non loin du port de Casablanca, dans le vieux centre colonial, d'autres jeunes gens sont attroupés devant le portail en fer de l'Église évangélique du Maroc. À l'entrée, une femme aborde les fidèles avec un immense sourire de bienvenue : "Vous venez pour l'église anglophone ou francophone ?" demande-t-elle à ceux qui semblent un peu perdus. Toute francophone qu'elle est, Isabelle*, une Camerounaise, ne tarit pas d'éloges pour la Casablanca International Protestant Church (CIPC). "J'ai été transformée, ici, au Maroc. J'ai découvert mon identité en Christ Dieu. Ma foi a pris un sens ici, en terre musulmane", affirme-t-elle avec vigueur alors que le culte prend fin. Les fidèles discutent à présent entre eux dans la cour intérieure, un gobelet de café fumant à la main. Pour beaucoup, le culte du dimanche a d'abord été un lieu de rencontre.

Un lieu de rencontre communautaire
"Je suis arrivé il y a 20 ans au Maroc, commence Jérôme, journaliste dans un quotidien marocain francophone. À l'époque, les Subsahariens n'étaient pas aussi nombreux. Entre les Marocains et nous, il y a un grand écart, alors l'église, c'est aussi un lieu où on peut rencontrer des personnes proches culturellement, des compatriotes. Quand il y a la fête de Noël, pour se retrouver dans l'ambiance du pays, il faut aller à l'église. Au pays, je serais en boîte !" s'amuse-t-il. "Peu à peu, je l'ai fait un peu plus par amour de Dieu et je me suis intéressé aux activités de l'église", précise-t-il. Ainsi, leur séjour au Maroc va souvent raviver la foi des Subsahariens qui se tournent vers les églises du Maroc.

Une revivification religieuse
"La majorité des membres de l'Église évangélique au Maroc (EEAM) se situe sur une trajectoire de revivification religieuse, liée à la spécificité d'un contexte marocain caractérisé tout à la fois par l'adversité (précarité matérielle, difficultés d'adaptation, racisme, etc.) et l'autonomie (affranchissement du contexte culturel et familial, liberté de choix et d'expérimentation)", atteste le pasteur Bernard Coyault, directeur du nouvel Institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa, à Rabat, et chercheur en sciences sociales, dans son article "Africanisation de l'Église évangélique au Maroc : revitalisation d'une institution religieuse et dynamique d'individualisation", paru l'an dernier. Ce phénomène est renforcé par un autre : la jeunesse de ses membres. Plus de 8 000 jeunes venus des pays d'Afrique subsaharienne, essentiellement d'Afrique de l'Ouest, étudient actuellement dans l'enseignement supérieur public marocain, sans compter ceux qui ont choisi des écoles privées. À l'Église évangélique au Maroc, 72 % des membres ont moins de 30 ans, selon une enquête de Bernard Coyault. L'Église catholique a connu les mêmes bouleversements. Dans une interview accordée au Monde des religions, l'an dernier, monseigneur Landel, archevêque au Maroc, parle d'"une Église très jeune, 35 ans de moyenne d'âge."

Un important turn-over au sein des églises
Avec une majorité de fidèles étudiants, les églises connaissent un turn-over important et doivent s'adapter. "Tous les ans, en juin, un quart [des fidèles, NDLR] s'en va, remplacé par un nouveau quart en septembre. Renouvellement complet tous les 4 ans", résume monseigneur Landel. "La moitié, au bout de trois ans, ne fait plus partie de l'Église évangélique. C'est sûr, ça provoque des chamboulements, mais ce n'est pas un problème, il y a toujours quelqu'un de disponible", analyse simplement Jerôme. Cette population africaine, subsaharienne et jeune, a elle-même revitalisé les églises du Maroc à partir des années 1990 et entraîné une mutation profonde du champ religieux chrétien du royaume fondé à l'origine par la colonisation française. Aujourd'hui, l'Église évangélique "comprend une douzaine de communautés locales totalisant quelques milliers de membres (3 000), à 95 % africains avec seulement 5 % d'Européens, dont 2 % de Français. Les principales nationalités représentées sont le Congo-Brazzaville (20 %), la République démocratique du Congo, la Côte d'Ivoire, le Cameroun et la Centrafrique, qui totalisent à eux cinq les deux tiers des membres", révèle Bernard Coyault.

S'adapter au contexte local
"Au sein de l'église, dans les groupes d'animation religieux, culturels, pour les jeunes, au service du dimanche, on ne retrouve plus que les Subsahariens… Les chants religieux sont très imprégnés des habitudes culturelles de chacun. Ainsi, les chants sont en majorité camerounais et congolais", raconte Jerôme. Changement d'habitude dans la façon de célébrer le culte, mais aussi dans les œuvres sociales des églises. "Auparavant, les actions sociales étaient orientées vers les Marocains, avant qu'on ne se rende compte, il y a une quinzaine d'années, que les fidèles de l'église avaient eux-mêmes des difficultés", ajoute le fidèle, témoin privilégié de ces évolutions. L'Église évangélique offre notamment des bourses aux étudiants les moins fortunés et de l'aide médicale. L'Église catholique, elle, a même fait de Caritas, organisation caritative autonome sous la direction de l'évêque, une référence dans le royaume en matière de soutien aux migrants subsahariens en situation irrégulière à Casablanca, Rabat et Tanger. À Tanger, justement, il y a quelques semaines, l'église recevait près de 150 Subsahariens chassés par la police, accusés de squatter les appartements dans lesquels ils vivaient dans le quartier périphérique de Boukhalef. Grâce à son nouveau public de fidèles, l'Église chrétienne renaît. En 2013 est même ouvert l'Institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa par la volonté commune des Églises catholique et évangélique. Lieu de réflexion et de promotion du dialogue interculturel et interreligieux, il prétend surtout, grâce à son pôle universitaire (théologie et sciences des religions), devenir le lieu de formation des futurs leaders chrétiens d'Afrique.

Du changement, oui, mais limité
L'influence africaine sur les Églises du Maroc a cependant ses limites. "En termes d'origine, la CIPC est plus mixte que l'Église francophone. Nous comptons notamment des Philippins", indique Chris Martin, le pasteur de l'Église évangélique anglophone de Casablanca. Une précision importante, car il essaie d'"éviter d'importer la culture africaine dans l'église pour que chacun trouve sa place. Le risque serait d'évincer, sans le vouloir, ceux qui ne se retrouvent pas dans cette culture", explique-t-il. Christopher Martin, comme Samuel Amedro, pasteur de l'Eglise évangélique francophone à Casablanca, sont tous les deux blancs. "L'héritage colonial a construit ce paradoxe d'une église dont les cadres responsables – en particulier le président de l'église – sont toujours majoritairement blancs", souligne Bernard Coyault. Lui-même blanc et français, tout comme l'archevêque monseigneur Landel.

Des tensions, des scissions aussi
L'osmose entre les Églises instituées et leur nouveau public n'est pas parfaite. Rapidement, les "étudiants protestants qui ne trouvent pas leur compte dans les formes cultuelles de l'EEAM se considèrent comme marginalisés au sein d'une "église de Blancs". La frange la plus active de sensibilité pentecôtiste s'organise très tôt dans une structure indépendante, le GJCM – Groupe des jeunes chrétiens au Maroc", explique Bernard Coyault. L'entente est cordiale jusqu'à l'arrivée en 2003 d'un pasteur pentecôtiste français "supposé mieux adapté à la spiritualité chaude des membres africains", précise le chercheur. Son arrivée a l'effet contraire à celui attendu : "En 2004 un mouvement de contestation interne mené par quelques leaders du GJCM aboutit […] à la création de groupes dissidents. À Rabat, le pasteur pentecôtiste venu pour aider l'EEAM orchestre lui-même la sécession et crée une nouvelle Église, l'Assemblée chrétienne de Rabat, qui grandit rapidement en dépit d'un statut légal incertain", raconte Bernard Coyault. L'EEAM n'implosera finalement pas, mais les groupes religieux alternatifs se forment peu à peu, à partir de 2003. Les premières églises de maison apparaissent à Rabat, puis à Casablanca. Ces groupes de prières, d'une dizaine à une centaine de personnes, se réunissent en cachette dans des appartements pour célébrer le culte autour du fidèle le plus inspiré qui devient alors pasteur.

*Les prénoms ont été changés

Source : Lepoint

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