Yawatani
En cinq ans, l’encours des crédits distribués a crû de 150 % !
Les taux d’intérêt sont au plus bas, une hausse est plus que probable.
1 ou 2 points de plus peuvent engendrer l’insolvabilité de milliers de petits clients.
L’immobilier est trop cher. En cas de baisse, les biens donnés en hypothèque se déprécieraient. Nous sommes en 1993. Le secteur de l’immobilier est au creux de la vague. Chez les promoteurs, la mévente générale dure depuis deux ans. Les prix des logements qui s’étaient fortement appréciés quelques années auparavant pour atteindre des pics, ont baissé de 10, de 20 voire de 30%. Pourtant, ce n’était pas là la première crise immobilière de l’histoire du Maroc. D’autres étaient déjà survenues, en 1972 puis en 1978. Et comme le phénomène est forcément cyclique, la crise des années 90 n’a certainement pas été la dernière.

Le secteur est-il aujourd’hui sur le point de connaître sa quatrième crise ? Si nul ne peut répondre à une telle question, il est intéressant de relever quelques indices qui rappellent fortement les situations qui avaient prévalu avant l’effondrement des années 90 : existence d’une période d’euphorie juste avant, suivie d’une flambée des prix du mètre carré fini, d’une flambée des prix du foncier. La suite, on la devine : les prix deviennent hors de portée, les acquéreurs n’arrivent plus à suivre, les ventes se ralentissent, le marasme s’installe.

Cela dit, et comme le rappelle un banquier, il existe une différence de taille entre la situation en 1991-1992 et celle d’aujourd’hui : «A l’époque, les taux d’intérêt étaient trop élevés et le crédit était encadré alors qu’aujourd’hui les taux sont au plus bas». Ce qui rend la situation actuelle encore plus compliquée et plus explosive. En effet, lors de la crise des années 90, les pouvoirs publics avaient pu relancer la machine en jouant justement sur les taux d’intérêt et en rendant l’accès au crédit logement plus facile. Ce qui aujourd’hui n’est plus possible puisque les taux sont déjà suffisamment bas et l’accès au crédit élargi à des franges de populations plus importantes. En un mot, l’Etat n’a plus de cartes à jouer pour desserrer l’étau. En fait, pour certains observateurs avisés, la grande inquiétude aujourd’hui provient justement de l’explosion qu’ont connue ces dernières années les crédits immobiliers, plus spécialement aux particuliers. Les encours des crédits immobiliers se sont littéralement envolés. Ils sont passés de 32 milliards de DH en 2002 à... 80 milliards de DH à fin août 2007, soit une hausse de 150% en moins de cinq ans.

Des crédits qui représentent parfois 110 voire 120% de la valeur du bien
Or, c’est justement le degré de risque qui inquiète aujourd’hui. Le premier élément qui interpelle concerne ce que les banquiers appellent communément le quantum de financement, qui représente en fait le rapport entre la partie financée à crédit et la valeur totale du bien. Un banquier de la place reconnaît que les crédits couvrent parfois 100% du prix du bien, voire le dépassent, certains établissements acceptant de financer 110 ou 120% du prix de manière à permettre au client de financer même la partie qu’il doit verser en noir ou les frais annexes comme l’enregistrement et les frais d’immatriculation à la Conservation foncière. Bien entendu, les banques ont chacune leurs petites astuces pour couvrir le surplus : financement de travaux supplémentaires, expertises pour surévaluer les biens financés... mais, dans les faits, en cas de défaillance du client, ils ne récupéreront certainement pas leur mise.

Dans l’euphorie et la course à la clientèle, les banques ont également joué sur d’autres critères. D’abord les taux. Aujourd’hui, le taux plancher pour un crédit logement à long terme (7 ans et plus) est de 5,07% et de 4,62% pour les crédits d’une durée supérieure ou égale à 2 ans et inférieure à 7 ans. La direction de la supervision bancaire à Bank Al Maghrib a d’ailleurs bien relevé cette tendance baissière des taux. En 2006, et selon les chiffres de la direction, 56% des crédits logement accordés aux particuliers étaient assortis de taux compris entre 6 et 8%, contre 40% en 2005. A l’inverse, la proportion des crédits à des taux supérieurs à 8% a baissé pour passer de 48 à 29%. En 2007, la tendance s’est poursuivie. Certes, la baisse est régulière et lente, mais, pour avoir une idée sur cette plongée des taux, il faut revenir 10 ans en arrière, voire plus loin. En 1997, le taux d’intérêt moyen appliqué au crédit à long terme, dont le logement, était de 13,75% HT. Mieux, au plus fort de la crise, en 1993 et 1994, les clients sollicitaient un crédit à un taux de 18% TTC.

L’autre concession faite par les banques pour faciliter le crédit concerne le niveau d’endettement des clients avec un rapport entre les mensualités et les revenus (appelé taux d’endettement) qui dépasse souvent les 40% alors qu’un niveau de 30 à 35% est indiqué en matière bancaire. A cela, il faut ajouter les durées des crédits qui sont poussées au maximum puisqu’elles atteignent le plus souvent 25 ans et même parfois... 30 ans ! En un mot, les banques ont utilisé tous les moyens possibles et imaginables pour solvabiliser des clients qui n’avaient pas accès au crédit.

Scénario catastrophe ?
Aujourd’hui, et pour résumer, la situation est la suivante : des banques trop engagées par rapport à la valeur des biens financés, des clients dont beaucoup sont déjà trop endettés, des durées poussées au maximum. Et si demain les taux reprenaient la voie de la hausse ? «Ce serait catastrophique», affirme cet ancien banquier aujourd’hui converti à la promotion immobilière.
Petite démonstration pour comprendre la gravité du danger : une simulation pour un crédit sur une durée de 25 ans démontre qu’une hausse de 100 points de base du taux d’intérêt (c’est-à-dire 1%) se traduirait par une hausse de... 14% de la mensualité. Autrement dit, si demain les taux augmentaient de 2 points par rapport à leur niveau actuel, cela se traduirait par une hausse de 28% des mensualités. Or, avec le niveau d’endettement aujourd’hui autorisé par les banques, il est difficilement imaginable de demander à un client qui payait 2 000 DH par mois d’en payer 560 de plus. Conclusion : une hausse des taux d’intérêt se traduirait forcément par un gros risque de voir un grand nombre de clients s’empêtrer dans des diffficultés financières, même si le scoring permet aux banques de réduire à la base le risque d’insolvabilité.

A cela, il faut ajouter d’autres facteurs qui pourraient venir compliquer la situation. La flambée des prix pouvant entretemps engendrer un marasme dans le secteur de l’immobilier, une baisse des prix est parfaitement envisageable. Cela s’est vu en 1992. Du coup, une banque qui aurait donné un crédit de 120 pour un bien acheté à 100 se retrouve avec un gage qui en vaut 70.

Mais à un tel schéma «catastrophe», les banquiers opposent des arguments recevables. Tous sont unanimes à dire qu’un tel scénario n’est envisageable que pour les clients dont les crédits sont assortis de taux variables. Et encore, car, comme l’explique un banquier de la place, «pour les petits salaires compris entre 2 500 et 4 500 DH, les taux sont systématiquement fixes, les taux d’endettement dépassent rarement 35% et nous finançons rarement plus de 100 % de la valeur du bien». Notre banquier nous explique également que la durée du crédit pour les petits revenus cumulée avec l’âge du client ne dépasse généralement pas 67 ans alors que les banques peuvent aller jusqu’à 69 ans. De telles mesures permettent justement à la banque de disposer d’une petite marge de manœuvre. En cas de problème, elle pourra ainsi rallonger la durée de deux ans ou pousser un peu plus sur le taux d’endettement.

Même son de cloche du côté de la direction de la supervision bancaire à Bank Al Maghrib qui explique que «seuls 42% des crédits immobiliers distribués en 2006 étaient assortis de taux variables contre 58% pour les taux fixes». La direction rappelle en outre que pour les crédits servant à financer le logement social, les banques appliquent systématiquement les taux fixes.

Attention à l’inflation !
Doit-on en déduire que, même en cas de hausse des taux, la clientèle à petits revenus, donc plus vulnérable, ne devrait pas, théoriquement, subir la hausse ? Probablement une partie d’entre eux, sachant que les clients qui ont opté pour le taux variable ont, légalement, le droit de choisir, mais une seule fois dans la vie du crédit, de passer au taux fixe. En d’autres termes, en cas de hausse des taux, même un client à taux variable peut finalement se couvrir en passant au taux fixe.

Mais cela n’écarte pas totalement le risque pour les banques : si en cas de hausse des taux, les clients seront de toute façon couverts, ce sont les banques qui se retrouveraient en porte-à-faux. En effet, en cas de hausse des taux, les banques se retrouveraient avec des crédits à des taux bas qu’ils devraient financer avec des ressources de plus en plus chères. Plus grave encore serait la situation si, en plus, le taux d’inflation commençait lui aussi à augmenter.

Aujourd’hui, même si les banquiers et les responsables de Bank Al Maghrib assurent que le système est relativement bien verrouillé, tous reconnaissent les faits suivants. Primo, les taux d’intérêt sont tellement bas que, si évolution il y a à l’avenir, elle ne peut être qu’à la hausse.

Secundo, les banques, dans leur course au client et au profit, ont dépassé les normes en matière de quantum de financement et se retrouvent avec des crédits dépassant de loin la valeur réelle des biens financés.
Tertio, la flambée actuelle des prix de l’immobilier a de fortes chances d’engendrer un ralentissement de l’activité, si ce n’est déjà le cas. Un banquier signale, par exemple, un net recul des ventes chez les promoteurs spécialisés dans le créneau du très haut standing et des villas.

Au final, on se retrouve effectivement devant les ingrédients d’une crise annoncée. Sauf que, cette fois-ci, les autorités monétaires ne pourront plus jouer la carte de la facilitation des crédits pour relancer la machine.

Il reste alors une ultime solution : le foncier. L’Etat doit absolument et d’urgence mettre sur le marché des réserves foncières en grandes quantités de manière à faire baisser la tension sur les prix du terrain et, par ricochet, du mètre carré bâti, sachant que nombre de promoteurs ont profité de la forte demandde pour s’assurer des marges colossales. Cette pratique est, entre autres, à l’origine du tassement des ventes. Quoi qu’il en soit, la mise à disposition de terrains constructibles en quantité suffisante est l’unique moyen pour que la machine continue de fonctionner.

En outre, les banques devront, elles aussi, trouver les moyens de freiner la course au crédit qui est finalement la principale cause de l’inflation actuelle des prix. En attendant, elles assurent toutes, au même titre que Bank Al Maghrib qui n’hésite d’ailleurs pas à les rappeler à l’ordre chaque fois que des faits répréhensibles sont détectés, que le système est suffisamment bien verrouillé. Nous l’espérons !

Saâd Benmansour
lavieeco.com

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