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L’enquête sur les tortures dont a été victime Latifa, une domestique de 22 ans hospitalisée à Casablanca depuis le 13 janvier, est toujours en cours. Aujourd’hui encore, la jeune femme enchaîne les opérations, et sa maîtresse de maison, pointée du doigt, est en détention provisoire. Retour sur l’affaire qui fait froid dans le dos…

 

 

« L’impunité doit cesser ! Le cas de Latifa ne concerne pas qu’INSAF, il interpelle tout le monde. Il faut arrêter de se taire. Dénonçons et protégeons les employées de maison comme Latifa qui sont battues et humiliées », martèle d’emblée Meriem Othmani, la présidente de l’Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse (INSAF) lors d’un point presse organisé le 19 janvier dernier dans ses locaux. C’est son association qui a décidé de médiatiser l’affaire de cette domestique de 22 ans, Latifa, torturée pendant des mois par sa patronnecomme elle l’a révélé sur son lit d’hôpital. La jeune femme originaire de Zagora se trouve depuis le 13 janvier en soin intensif à la Clinique Internationale de Casablanca. Ce sont ses employeurs qui l’ont emmenée, après avoir appelé dans la nuit le Dr Najmouddine Abdelillah de SOS médecin. « Quand j’ai vu Latifa dans ce logement, elle était terrifiée et s’était murée dans le silence, en plus d’être dans un état dépressif », se rappelle-t-il précisément. Lors de la consultation, la maîtresse des lieux chez qui elle travaille depuis près de deux ans, se place juste à côté du médecin qui fait très vite un inquiétant diagnostic : Latifa a une sérieuse anémie, une plaie surinfectée à la jambe gauche, et divers hématomes au niveau des reins et du foie, sans parler des brûlures au 2ème et 3ème degré. Il en est certain, il est face à un cas de maltraitance extrême qui ne date pas d’aujourd’hui vu l’état des blessures. « Il fallait que la jeune femme dénonce ces agissements. Le seul moyen, c’était de la faire sortir de cette résidence, lâche-t-il. J’ai alors utilisé un vocabulaire simple mais alarmiste à savoir que Latifa avait besoin d’urgence d’une transfusion sanguine, qu’on traite ses hématomes et ses brûlures, et que si rien n’était fait, il y avait un risque de choc septique ! ». Après avoir réfléchi quelques minutes, l’employeur et ses proches la conduisent à la Clinique Internationale.

Un solide rempart érigé face à la tortionnaire

Dans l’établissement privé, l’équipe médicale est consternée. Quand le lendemain, la maîtresse de maison arrive à la clinique accompagnée de ses proches pour récupérer Latifa, le directeur général, le Dr Majed Bakjaji fait blocage, comme le souligne Meriem Othmani. A partir de ce moment, la jeune femme n’est enfin plus seule face à son bourreau. Lundi, le Dr Fatima Zahra Michraf, spécialiste en chirurgie plastique à la clinique, appelle Amina Khalid, bénévole et ancienne assistante sociale à l’INSAF qui se rend aussitôt sur place avec son collègue Omar Saadoun, responsable du programme lutte contre le travail des enfants. Tous deux sont sous le choc. Ni une, ni deux, elle appelle Meriem Othmani qui leur donne le feu vert pour agir, puis alerte le CNDH de Casablanca– Settat qui va à son tour avertir le Procureur du Roi. Pendant ce temps, Latifa commence à s’ouvrir, même si « au départ, son premier réflexe a été d’affirmer qu’elle était tombée tout seule », explique Amina qui va réussir à gagner petit à petit sa confiance. « Puis, elle nous a avoué que sa patronne la battait, et que sa violence était de plus en plus intense ces trois derniers mois ». Et poursuit : « Parfois, sa maîtresse prenait une fourchette qu’elle chauffait sur le gaz, avant de la faire glisser sur le corps de la petite : du cou au nombril avant de remonter doucement tout en appuyant ! » Pire encore. « Elle appelle sa tortionnaire « maman » et justifie les coups reçus… », déplore Amina. La jeune femme qui va être suivi psychologiquement, enchaîne les opérations depuis son arrivée à la clinique. Les médecins ont pu sauver sa jambe, mais « elle est toujours dans un état critique ».

La fin d’une omerta incompréhensive

Le Procureur du Roi avisé, la maîtresse de maison a été arrêtée et placée en détention provisoire. « Une enquête a été ouverte et un médecin légiste a été dépêché à la clinique pour constater les traces de coups et les brûlures sur son corps », indique Meriem Othmani qui précise que son association s’est constituée partie civile et que le père de Latifa va porter plainte. « Il veut retrouver sa dignité après que certains médias aient osé dire qu’il avait perçu de l’argent de la part de la famille de l’employeur, alors que c’est faux. » D’après l’INSAF qui est en contact régulier avec le père, il n’était pas au courant du calvaire infligé à sa fille. En revanche, d’autres l’auraient été. « La jeune femme a déjà été hospitalisée auparavant puisque l’employeur m’a rapporté des clichés de radiologie », comme le pointe du doigt le Dr Abdelillah de SOS médecin. « Pourquoi jusqu’à présent aucun médecin n’a-t-il averti la police ?, interpelle l’équipe de l’INSAF. Vous imaginez que si le directeur de la Clinique Internationale ne s’était pas interposé lorsque l’employeur était venu la chercher, Latifa serait aujourd’hui retournée chez sa tortionnaire, et elle y serait peut-être décédée… »

 La loi n° 19-12 n’y aurait rien changé…

Latifa est malheureusement loin d’être un cas singulier. L’INSAF héberge et prend en charge de nombreuses jeunes femmes qui ont été, pour certaines, « petites bonnes » ou plutôt prisonnières de patrons qui les ont battues, insultées voire abusées sexuellement. Telle Khadija qui a été domestique à l’âge de 6 ans et tabassée lorsqu’elle faisait mal les tâches imposées. Ou encore Lamia, frappée avec une barre de fer au visage pour avoir voulu partir. Elles sont sorties de cet enfer en fuyant ou grâce à l’intervention d’associations ou même de leur famille qui les avait pourtant emmenées dans ces maisons de l’horreur. Aujourd’hui, une loi existe : la n° 19-12 fixant les conditions de travail et d’emploi des travailleuses et travailleurs domestiques adoptée le 10 août 2016 et qui entrera en vigueur une année après la publication des décrets y afférents au Bulletin officiel, à savoir en décembre 2018. Problème, dans ladite loi, les sanctions ne sont pas assez lourdes : une amende de 25 000 à 30 000 DH, et s’il y a récidive, le double accompagné, ou non, d’une peine de prison d’un à 3 mois, comme le déplore l’INSAF qui espère que, dans le cas de Latifa, c’est la loi n° 27-14 relative à la lutte contre la traite des êtres humains qui sera prise en compte. Dans cette législation, le « travail forcé » « sous la menace de mort, (…) de torture » est puni de 10 à 20 ans de prison et d’une amende de 100 000 à 1 000 000 DHS. « C’est à la justice de déterminer les délits et les crimes ainsi que les lois s’y référant », rappelle Meriem Othmani. Mais ce qui est encore plus dramatique pour Omar Saadoun, c’est que le texte n° 19-12, tel quel aujourd’hui, n’aurait pas changé le sort de Latifa et des autres « bonnes » battues. « Cette législation comporte de nombreuses lacunes, déplore-t-il. Le nombre d’inspecteurs du travail est insuffisant pour couvrir tout le territoire. Et ces femmes sont enfermées dans des domiciles, alors comment vont-ils entrer ? Ils devront attendre un mandat ? Personne ne peut nier la lenteur de l’administration… » Pour lui, il faut tout bonnement des contrôles « surprises » sans demande d’autorisation. Et Amina d’enchaîner : « Ce métier est la seule profession où la personne doit dormir chez l’employeur, alors qu’elle ne devrait pas. En sortant, ces femmes pourraient côtoyer du monde, connaître leurs droits et avoir une écoute ainsi que de l’aide. » Le cauchemar dont a été victime Latifa a indéniablement choqué l’opinion publique, mais le sera-t-elle au point de dire « Assez ! », de réclamer un législation plus rigoureuse, de rompre le silence et de sauver tant d’autres employées de maison qui, lorsque vous lirez ces lignes, seront en train d’être rouées de coups ?


source:femmesdumaroc.com :Pauline Maisterra

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