Yawatani

 

Tahar Ben Jelloun ne s'arrête pas d'écrire. Plus, le prix Goncourt semble toujours tenté par cette approche littéraire qui prend sur celle de ne pas uniquement décrire des situations, mais surtout de faire des plongées dans la psychologie de ses personnages

 

 

 

 

 

Une dimension déjà démontré dans plusieurs de ses ouvrages, sauf que son dernier-né nous renvoie, d'une manière ou d'une autre, au Tahar Ben Jelloun des tous débuts. Notamment, lorsque le point d'inflexion et de convergence n'était autre que, quelque part, cet intérêt porté au personnage de l'immigré. Pas forcément à travers une démarche situationnelle, mais beaucoup plus dans une quête de son for intérieur. Et dont l'une des manifestations a été décrite dans «la plus haute des solitudes ». Dans son dernier roman, sorti début 2009, «Au pays», c'est une autre dimension que l'auteur essaie de nous proposer. En résumé du résumé, il s'agit d'un immigré hanté par l'idée du retour au bled. Pas par choix. Pas par un quelconque manquement aux règles du pays d'accueil qui aurait entrainé une expulsion, sous les nouveaux modes de traitement. Encore moins pour des raisons peu amènes. Non, Mohamed, parce que c'est de lui qu'il s'agit, se sent dans l'obligation de rentrer, parce qu'il part en retraite. Une étape, un tournant de sa vie qu'il a du mal à gérer. D'ailleurs, dès le deuxième chapitre, le narrateur nous invite à partager cette angoisse qui prend en otage Mohamed.

Une angoisse, existentielle si l'on ose écrire, qui se traduit à travers «une voix inconnue» qui répète« un mot qu'il connaissait bien mais dont il ne voulait pas discuter. C'était cela, ce mot qu'il ne voulait pas entendre, ce mot sonnant comme une sentence, ce mot annonçant cette date fatidique qu'il voulait renvoyer plus tard, le plus tard possible.» L'emprise prend une telle ampleur que Mohamed tente de donner toute sa dimension sémantique, sa signifiance même, en jouant sur la comparaison. Le narrateur prend le relais : «Ce n'était pas la mort, c'était quelque chose qui s'en approchait.» Et de résumer : arrêter de travailler, rompre avec de vielles habitudes de quelqu'un qui a passé des décennies dans son atelier. L'arrêt obligatoire : «lentraite», comme il prononce le mot « retraite», cst ennemi qu'il qualifie d'invisible.

Interminable attente
C'est donc cette descente que le narrateur dévoile au fur et à mesure, même si l'auteur, lorsqu'il tenta de reconstituer les pensées de Mohamed aurait bien pu faire l'économie de quelques clichés. Une économie qui plus est n'aurait aucunement impacter le dédroulement du récit. Qu'à ce là ne tienne. Le plus important est ailleurs. En fait, face à la fatalité de la retraite, Mohamed a toujours nourri un rêve qui paraît tel un rempart à même de lui éviter une plongée dans la démence. Ce rêve de bâtir une grande maison au bled où toute la famille pourrait se retrouver et vivre ensemble. Et là, c'est l'autre hic. Car, même quand il invite ses enfants à les rejoindre, juste pour partager l'Aïd, il n'aura que le silence pour écho. Non seulement, il « perd» son travail, sa raison d'être, mais aussi il est obligé d'admettre que le cordon ombilical avec ses enfants, devenus grands, est rompu. Mohamed n'en démord pas pour autant.

Mais, l'attente, lente et interminable, finira par le «dévorer» à petit feu. Dans certaines scènes, on se sent très proche de l'univers « becketien ». plus précisément dans celui de «Malone meurt». Seulement voilà, alors qu'il attendait, comme s'il devait avoir rendez-vous avec un éventuel Godot, il devait se résoudre à la réalité : « personne ne vint. Pas de bruit de voiture, pas de nuage de poussière, rien. » Au seizième chapitre, Benjelloun cède au charme qui fait l'une de ses forces stylistiques. Un phrasé lyrique, qui procède du poétique d'une souffrance, d'une douleur tout autant insidieuse que trop parlante par son silence. Mohamed ne se laisse emporter par le cri, mais s‘enfonce jusqu'à s'engloutir dans une chaise qui s'enfonçait doucement, douloureusement…
«Ainsi disparu Mohamed Limigri, l'homme que la retraite a tué.»  

Par Choukry Kouraichi | LE MATIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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