Yawatani

Les Marocains ne sont pas généreux en matière de don d’organes : de 2012 à 2014, seulement 125 reins ont été transplantés alors qu’il y a un million de malades touchés par une insuffisance rénale. Des campagnes de sensibilisation ont eu lieu ces dernières années, mais les tabous ont encore la peau dure. Or, il n’y a pas d’interdiction, ni légale, ni médicale, ni religieuse.

Faire don d’un organe pour sauver des êtres humains ou les aider à se soulager de leur souffrance est une pratique qui peine encore à s’ancrer au Maroc. Mais des campagnes de sensibilisation sur le sujet sont entamées ces dernières années, pour encourager les Marocains à être plus généreux en la matière. Dépendre un jour pour sa survie d’un rein, d’un foie ou d’une cornée… ça n’arrive pas qu’aux autres. Les chiffres divulgués par le ministre de la santé, El Hossein El Ouardi, le 22 avril dernier à l’occasion d’une rencontre nationale sur le thème «De mes organes, une nouvelle vie», donnent une idée sur ce manque de générosité qui n’est en fait que le résultat d’un manque de conscience: de 2012 à 2014, seulement  125 reins ont été transplantés (contre 9 105 en France par exemple) et 5 foies (3 281 en France).  L’organe le plus transplanté au Maroc est le rein, puisque la maladie rénale est très répandue et touche, selon les estimations de «l’association REINS» dirigée par la professeure Amal Bourquia, un million de personnes. C’est une maladie qui pose en effet un problème majeur de santé publique : au moins 3 000 personnes nécessitent chaque année un traitement par dialyse chronique.

Sauf que sur les 10 000 dialysés régulièrement, seuls 200 ont pu bénéficier d’une greffe rénale, selon les estimations du Pr. Bourquia (le ministre parle de 125 entre 2012 et 2014). Très peu, comparativement aux dégâts financiers et psychologiques causés par la pratique de la dialyse. Le traitement des maladies rénales, explique Pr. Bourquia, «représente une des dépenses les plus importantes pour les organismes de couverture et pour le ministère de la santé, et on prévoit une augmentation rapide de ces dépenses, car la population vieillit et le diabète et l’hypertension artérielle touchent de plus en plus de personnes».

Au mois de mars dernier, à l’occasion d’une campagne pour les dons d’organes et de tissus, le Centre hospitalier Ibn Sina de Rabat (CHIS), organisateur de l’événement, a révélé aussi quelques chiffres: «25 greffes environ par million d’habitants et 0,4 donneur seulement pour tous types d’organes au Maroc». D’ici 2016, le CHIS compte réaliser entre 200 et 250 greffes par an de reins, foies, cornées et os. Un autre chiffre: de 2001 à 2012, pas plus de 800 personnes se sont inscrites sur les registres de dons d’organes «après décès». Mais les choses sont en train de bouger. Le 25 avril 2013, Naila Leghzaoui, médecin externe au CHU Mohammed VI de Marrakech, membre de l’association «Lueur d’espoir» et de l’Association des amis du CHU, livre sur la page facebook «Don d’organes au Maroc» ce témoignage émouvant, pour dire à quel point la cause de don d’organes commence à rallier même des jeunes adolescents.

On est en avril 2013. Il s’appelle Jalal et il avait à peine 15 ans. Victime d’un accident grave de la voie publique il a été hospitalisé au service de réanimation du CHU de Marrakech pendant quatre jours. C’est  Dr. Leghzaoui qui était, par hasard, de garde, et elle a publié ce petit mot : «Le diagnostic de mort cérébrale a été posé, et pourtant ma mission durant ma garde ce soir est de veiller à ce que Jalal soit stable sur la plan hémodynamique, de veiller à ce qu’il survive jusqu’au matin .. Savez-vous pourquoi?.. Et bien parce que Jalal depuis ce matin est inscrit dans le registre des donneurs d’organes après que sa famille a donné son accord pour offrir une nouvelle lueur d’espoir à un autre enfant qui lutte contre la mort chaque jour, pour pouvoir donner une deuxième vie sans souffrance à un autre ange gravement malade quelque part.. ça m’a fait énormément plaisir de voir une telle initiative…». Que de telles belles initiatives aient lieu, c’est de bon augure.

La première transplantation du cœur a eu lieu en 1995 au CHU Ibn Sina de Rabat

La société civile s’implique presque autant que le ministère de la santé. Comme Dr. Leghzaoui à «Lueur d’espoir», Dr. Fatiha Barnes, médecin chef au centre de santé Villon à Casa-Anfa et présidente de «l’Association des diabétiques et des malades chroniques», fait aussi de son mieux. Elle a organisé le 16 mai dernier une journée d’étude sur le don d’organes à la Faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca. «Une façon de faire le point sur la question et de faire comprendre au public qu’il n’y a aucune interdiction, ni médicale, ni légale, ni religieuse à donner son organe». Les tabous ont la peau dure en effet, et nombreux sont les malades chroniques adhérents à l’association créée en 2006 par Dr. Barnes, qui, au lieu d’un traitement à vie et coûteux, souhaitent un jour se voir s’offrir l’organe dont ils ont besoin et se le faire transplanter pour guérir de leur maladie. Professeurs de médecine, juristes, sommités religieuses et militants des droits de l’homme ont assisté à cette journée d’étude pour s’exprimer, chacun dans son domaine, sur un sujet trop souvent voilé d’une ombre d’incompréhensions et d’interdits. «Or, le premier don et la première transplantation d’organes au Maroc ne date pas d’hier, il a eu lieu, déjà, en 1986, donc il y a trente ans», rappelle Dr. Barnes. Il s’agit du rein, et la transplantation s’est effectuée à Casablanca. Depuis, il y en a eu plusieurs, et des équipes médicales marocaines sont de plus en plus compétentes en ce genre d’opérations.

Le Maroc est considéré même comme précurseur au Maghreb dans ce domaine. Outre la première transplantation rénale au milieu des années 1980,  il y a eu une transplantation du cœur en 1995 au CHU Ibn Sina de Rabat, et il y a eu la greffe de la moelle osseuse en 2004 au CHU Ibn Rochd de Casablanca, alors que la première greffe de la cornée a été enregistrée en 2009. Quant au don d’organes post-mortem avec l’accord des familles des décédés, la première opération a été réalisée en 2010 au CHU Ibn Rochd de Casablanca avant d’être généralisée à l’ensemble des autres Centres Hospitaliers Universitaires. La dernière en date était une transplantation hépatique et a été effectuée en ce mois de mai 2015 au Centre hospitalier universitaire (CHU) Ibn Sina de Rabat par une équipe à 100% marocaine. C’est la deuxième transplantation du genre dans cet hôpital, l’organe appartient cette fois-ci à une fille de 14 ans victime d’un accident et qui a été accueillie au même hôpital le 29 avril dernier en état de mort encéphalique. La bénéficiaire est une patiente âgée d’une cinquantaine d’années. En plus du rein, la famille a accepté de faire don d’autres organes pour sauver d’autres vies : les deux reins et les deux cornées de leur fille. L’un de ces reins a déjà été greffé chez un patient, l’autre a été transporté au CHU de Casablanca pour un autre malade.

Greffe et transplantation, quelle différence ? Médicalement ce n’est pas la même chose, expliquent les médecins. La transplantation est une opération chirurgicale consistant à remplacer un organe malade par un organe sain (cœur, poumon, rein, foie…), alors que la greffe désigne l’opération chirurgicale des tissus et des cellules, c’est le cas de la cornée, de la peau ou des os, pour ne citer que ceux-là.

S’il y a don de rein et de foie au Maroc, la cornée ne bénéficie pas de la même générosité, «elle est encore importée de l’étranger et beaucoup de malvoyants marocains en ont besoin pour récupérer leur vue», explique Dr. Barnes. En France, à titre d’exemple, la greffe de cornée est la plus fréquente des greffes de tissus avec donneur. Plus de 4 000 patients malvoyants en bénéficient chaque année. Mais ce chiffre, selon le site doctissimo.fr, pourrait doubler «si des greffons étaient prélevés en plus grand nombre. Malgré une constante augmentation des greffes de cornées, les hôpitaux doivent faire face à une véritable pénurie de greffons».

Cela étant, quel que soit l’organe à prélever, les médecins spécialistes présents au cours de cette journée d’étude organisée par Dr. Barns ont insisté sur le fait que, médicalement, pas moins de 120 examens sont nécessaires sur la personne donatrice avant de prélever son organe, pour savoir s’il n’y a pas de contre-indication à sa transplantation chez une autre personne. Si la donation d’un organe ne pose aucun problème ou polémique, ni au niveau médical (après bien entendu des examens sur le donateur faits par une équipe médicale) ni au niveau juridique, tel n’est pas le cas au plan religieux. Au plan juridique d’abord, c’est la loi n°16-98 du 25 août 1999 qui encadre l’opération du don, du prélèvement et de la transplantation d’organes et de tissus humains. Le don doit être volontaire, libre, motivé et gratuit. Et cette loi pose d’autres conditions au donateur pour éviter tout trafic ou commercialisation d’organes (voir encadré).

«Quiconque donne la vie à un être c’est comme s’il avait fait don de la vie à toute l’humanité»

Reste le côté religieux. Que dit l’islam du don d’organes? Il n’y a a priori aucune interdiction, ni dans le Coran, ni dans le hadith à ce qu’un musulman fasse don de son organe pour sauver la vie d’une autre personne. C’est ce qu’a essayé d’expliquer Mohamed El Ouakil, président du Conseil religieux Aïn Sebaâ-Hay Mohammadi lors de la journée d’étude du 16 mai organisée par l’Association des diabétiques et malades chroniques. Il rejoint ainsi toute la philosophie religieuse en la matière, qui privilégie l’intérêt général, le respect de la vie et le principe d’altruisme, tels qu’ils sont édictés dans le Coran et la Sunna. Quoi de plus noble en effet que d’être généreux et offrir un organe pour sauver la vie d’une autre personne ? «Quiconque donne la vie à un être c’est comme s’il avait fait don de la vie à toute l’humanité», citent les savants religieux. Ce don est alors considéré comme une bienfaisance, un acte de charité. Il faut dire que même si les trois aspects du don d’organes sont résolus : médical, légal et religieux, il reste l’essentiel: les Marocains sont-ils prêts à faire don de leurs organes, sans une stratégie du ministère de tutelle. Comme le dit ce médecin du secteur public: «Il est impossible d’encourager les gens à faire don de leurs organes, et par conséquent d’encourager la transplantation sans cette stratégie, et, surtout, sans une prise en charge du malade. Dans les hôpitaux, les patients manquent même de mercurochrome, comment parler dans ce cas de don d’organes et de transplantation?».  Problème de logistique et d’infrastructure aussi. Ne serait-ce que pour la greffe rénale, la plus courante des greffes au Maroc, on se plaint de sa non-inscription au registre  de la prise en charge. Sans parler d’autres maladies chroniques touchant des organes vitaux et qui nécessitent des transplantations. «On ne peut les faire au Maroc, faute d’infrastructures, et de personnel qualifié», juge Pr. Bourquia.

L’opération du don est encadrée par la loi n°16-98 du 25 août 1999

La loi dit que la transplantation peut se faire à partir d’un donneur vivant apparenté (DVA). Peuvent donner leur rein les parents, enfants, frères et sœurs, oncles, tantes, cousins et cousines, ainsi que le conjoint (à condition que le mariage ait duré au moins une année, pour éviter les mariages blancs en vue d’un don). Médicalement, on peut greffer même des gens non apparentés. Car un conjoint n’est pas forcément quelqu’un de la famille, mais si la loi a précisé les personnes habilitées à donner leur rein, c’est surtout pour éviter le trafic d’organes et la commercialisation du don. La loi stipule effectivement que le don doit être volontaire, libre, motivé et gratuit. La même loi exige que le consentement du donneur soit exprimé devant le président du tribunal de première instance, assisté par deux médecins désignés par le ministre de la santé, sur proposition du conseil de l’Ordre. C’est dire que le don doit être fait de bon cœur, un acte de générosité. En plus du donneur vivant apparenté, il y a ce qu’on appelle les donneurs cadavériques: il s’agit des personnes en état de mort cérébrale, qui auront exprimé leur accord de don de leur vivant et l’auront noté sur le registre détenu à cet effet par les hôpitaux agréés de par la loi à prélever et greffer. Il en existe quatre dans tout le pays : le CHU Ibn Rochd de Casablanca, le CHU Ibn Sina de Rabat, l’hôpital d’instruction militaire Mohammed V de Rabat et l’hôpital Cheikh Zayd dans la même ville. On peut aussi prélever un rein sur une personne décédée s’il y a accord de sa famille.

Une transplantation rénale coûte moins cher que la dialyse chronique

Même si les transplantations rénales effectuées au Maroc ne sont pas nombreuses (quelque 250 depuis 1990), les praticiens marocains les maîtrisent parfaitement, depuis 1986, date de la première opération effectuée à Casablanca. Nécessitant une infrastructure moins chère que celle d’autres implantations (comme celles du cœur ou du foie), le coût d’une transplantation rénale serait, selon les estimations d’une équipe de néphrologues et d’urologues à Casablanca, de l’ordre de 250 000 DH, représentant la greffe et le suivi pendant la première année après l’opération. Puis 5 000 DH par mois, pour le travail de suivi. Autant dire qu’au bout de 2 ans, une transplantation rénale revient moins chère qu’une dialyse, laquelle coûte 200000DH par an pour le malade. «Une greffe réussie équivaut à dix ans d’hémodialyse économisés», précise un néphrologue. Une chose est sûre : le malade qui réussit sa transplantation pourra reprendre sa vie tout à fait normalement. Une  transplantation d’organe réussie, estiment les médecins ayant pratiqué ce genre d’opération, «est souvent vécue comme une seconde naissance», notamment lorsque le patient guéri est capable d’exercer une activité professionnelle sans inconvénient, ou de pratiquer le sport en toute quiétude. Quant à une transplantation hépatique, hospitalisation et entretien post-opération compris, son coût est évalué à 600 000 DH, alors que l’opération coûte 200 000 euros en France. 

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