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Violence à l’école, enseignement en arabe, privatisation de l’école : Qu’est-ce qui peut expliquer le retard pris par le Maroc en matière de scolarisation ?

 

L’heure tourne. Alors que le Maroc s’est engagé à atteindre l’Objectif pour le développement durable (ODD) numéro 4 et ainsi « assurer l’accès à tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie » avant 2030, il ne devrait réaliser ce dessein avant le siècle prochain, soit, avec 70 ans de retard. C’est en tous cas ce que prévoit un rapport indépendant commandé par l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) publié ce 6 septembre. L’une de ses rédacteurs, Nihan Koseleci-Blanchy, précise : « Nous avons basé nos estimations sur les tendances actuelles, mais certains scénarios sont plus optimistes ». En somme, le Maroc comptabilisera 70 ans de retard s’il ne change rien à sa politique actuelle en matière d’éducation.

La proportion d’enfants scolarisés augmente, mais Nihan Koseleci-Blanchy pointe du doigt le problème de la qualité : « En 2011, seulement 24 % des enfants de niveau 4 atteignaient le niveau minimum en mathématiques », qui ajoute que cela se reflète dans ce qu’on appelle « le taux d’achèvement » dans le jargon, c’est-à-dire la poursuite de scolarité jusqu’à la fin du cycle. Or, il est vrai que le Maroc enregistre un fort taux de décrochage scolaire.

Une politique de lutte contre les inégalités saluée…

Le rapport explique : « Dans les pays d’Afrique du Nord et d’Asie occidentale, une année de scolarité supplémentaire pour les mères se traduit par une diminution de 23 % du nombre d’enfants de moins de 5 ans décédant de pneumonie ». Mais le système éducatif marocain est encore très inégalitaire, entre filles et garçons et riches et pauvres. « La scolarisation des filles a enregistré des progrès mais lors du passage du primaire au secondaire, les inégalités se creusent, l’effectif des filles les plus pauvres diminue, la pauvreté exacerbe l’inégalité de sexe », explique Nihan Koseleci-Blanchy. Un fossé qui se creuse beaucoup plus que chez les voisins de la région : en 2012, 74 % des Marocains en âge d’être inscrits au collège l’y étaient, contre seulement 64 % des Marocaines. Au même âge, 102 % des Algériens et 98 % des Algériennes, 90 % des Tunisiens et 94 % des Tunisiennes sont scolarisés (chiffres Unesco 2011 et 2014).

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« Le gouvernement marocain a fait beaucoup d’efforts, la question de l’équité fait partie de l’agenda politique », reconnaît la spécialiste. D’ailleurs, le rapport international consacre un encadré à l’exemple marocain en citant les programmes Tayssir (qui consiste à aider financièrement les familles pauvres en milieu rural pour éviter l’abandon scolaire) et 1 million de cartables ou encore la construction d’internats réservés aux filles. Le rapport vante ces choix mais la responsable onusienne nous explique qu’il serait bon d’évaluer l’impact réel des ces programmes.

… Mais une privatisation risquée

Aussi, l’experte reconnaît que « la privatisation de la scolarisation risque d’exacerber les inégalités déjà existantes ». Fin 2014, dans son rapport sur le droit à l’éducation, la commission de l’Organisation des nations unies spécialisée sur les questions sociales, culturelles et humanitaires, avait déjà choisi de citer le Maroc comme mauvais exemple de la tendance à la privatisation de l’enseignement, facteur de « discrimination et d’inégalités […] entre les riches et les démunis ». 

Pourtant, le gouvernement actuel semble plutôt suivre un autre paradigme et écouter les recommandations de la Banque africaine de développement, qui perçoit le recours au secteur privé comme une bonne solution pour combler les carences budgétaires de certains Etats en matière d’éducation. D’ailleurs, lors du cinquantenaire de la banque en octobre 2014, Abdelillah Benkirane avait déclaré que « le rôle de l’Etat doit se limiter à assister les opérateurs privés qui veulent s’engager dans ces secteurs [santé et enseignement, NDLR] ».

Privilégier la darija ?

Le rapport rappelle que 40 % de la population mondiale n’a pas accès à l’éducation dans sa langue maternelle. Or, l’Unesco est clairement pour l’enseignement en langue natale. Interrogée par Telquel.ma sur le sujet, Nihan Koseleci-Blanchy est catégorique : « Toutes les études montrent qu’il faut commencer à lire et compter en langue maternelle ». Bien sûr, elle reconnaît la richesse d’un enseignement bilingue mais estime que la langue maternelle doit au moins être utilisée dans les six aux huit premières années et la deuxième langue introduite progressivement. Ce dernier rapport rappelle également l’intérêt de la langue maternelle pour transmettre les connaissances locales.

La question de l’enseignement en darija fait débat au sein même des responsables politiques marocains. Une partie du Conseil supérieur de l’éducation seraient plutôt pour cette réforme, alors que le chef du gouvernement s’y oppose.

Tous pays confondus, Nihan Koseleci-Blanchy rappelle que « les parents n’ont pas envie d’envoyer leurs enfants si il y a du harcèlement et de la violence physique à l’école ». Il revient aux Etats de sécuriser ces lieux d’apprentissage. Au Maroc, les centres régionaux de lutte contre la violence dans les milieux scolaires ont enregistré 24 600 cas entre septembre 2013 et juillet 2014.

De manière générale, le rapport recommande aux Etats de repenser l’éducation dans sa globalité. Pour les rédacteurs, elle est essentielle aussi bien pour la prospérité (« pour que les gens aient un travail mais pas seulement, pour qu’ils aient un travail décent, et s’épanouissent », nous précise Nihan Koseleci-Blanchy), la paix (ne pas exacerber les tensions) et la planète (apprennent à faire le tri…).

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