Yawatani
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Par Michel Dusclaud, ingénieur d'études au CNRS, Centre Roland Mousnier Paris-Sorbonne 4 et chercheur au Groupe de recherche sur la sécurité et la gouvernance (GRSG) Université de Toulouse 1 Capitole
 
Au début des années 2000, dans le cadre de recherches comparatives sur la situation économique et sociale de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc, j’avais été frappé par le fait que ces pays, unis par une langue et une religion communes, sont finalement très différents dans leurs composantes sociologiques et leurs performances économiques. 
 
Le Maroc était de ces trois pays, celui qui avait l’indice de développement humain le plus défavorable. Mais l’arrivée au pouvoir d’un jeune monarque après la mort d’Hassan II en 1999 pouvait signifier que se réalisent les profonds bouleversements nécessaires à la société marocaine et au mieux-être de son peuple. 
 
Le Maroc vivait alors à l’heure des changements même si ils étaient pour certains trop lents et insuffisants, et pour d’autres trop radicaux. Ils ne se limitaient pas au nombre de portables, presque égal à celui de l’Espagne, ni aux antennes paraboliques, qui poussent comme des champignons, jusque dans les bidonvilles de Casablanca. 
 
On assistait à l’émergence d’une société civile vibrante et d’un véritable réseau d’associations féminines et des droits de l’homme, sans parler des partisans de réformes économiques, de promotion des nouvelles technologies et du souci de préservation du patrimoine culturel.  
 
Pendant que les femmes demandaient plus de libertés et la mise en place d’un nouveau statut pour améliorer leurs droits, plus de 200 000 sympathisants islamistes manifestaient à Casablanca pour s’opposer à l’éventualité d’un projet de réforme du statut des femmes. 
 
A cette période, certains se sont demandés si le Maroc pouvait aller jusqu’à évoluer vers une monarchie constitutionnelle (comme le "prince rouge" Mouley-Rachid le souhaitait avant de s’exiler aux Etats-Unis). 
 
Face à ces revendications contradictoires, le Roi a alors repris l’initiative politique, prenant conseil auprès d’André Azoulay, très influent durant le précédent règne, et lié aux puissances occidentales et particulièrement à la France. 
 
Avec l’aide du secrétaire d’Etat çà l’intérieur, Fouad Ali al –Himma, il a choisi de nouveaux Walis et gouverneurs de région, souvent de jeunes centraliens ou polytechniciens sortis majoritairement des grandes écoles françaises, pour constituer une sorte de "Task force" de gouvernement décentralisée. Abraham Serfaty qui venait de rentrer au Maroc après un long passage dans les prisons d’Hassan II et un exil en France disait : "le Roi est en train de créer son propre Makhzen avec une équipe puissante de technocrates", et ce au détriment du gouvernement de coalition dominé par les socialistes, mis en place sous Hassan II, pour assurer une transition douce vers la démocratie.
 
L'exception marocaine
 
Mohamed VI annonçait en même temps que le développement économique du Maroc nécessitait l’apport de capitaux étrangers dont il était indispensable de faciliter l’accueil par la simplification des formalités administratives. Ainsi a-t-il été décidé la mise en place du guichet unique sous la responsabilité de ces nouveaux walis et gouverneurs. 
 
Il retirait par la même une des compétences essentielles du gouvernement dans l’action économique, le premier ministre Youssoufi ne jouant plus alors qu’un rôle accessoire dans la préparation des nouvelles élections législatives de 2002. 
 
C’est ainsi que naissait "l’exception marocaine". 
 
Elle se caractérise par la recherche d’un Etat modernisé, bien géré , accompagnée d’une démocratisation maîtrisée du fonctionnement de la société afin de préparer le Maroc à entrer dans la compétition économique mondiale. Le budget dans la loi de finance prévisionnelle de 2012 est présenté avec un déficit de 11 milliards de dirhams (1 milliard d’euros) sur 290 milliards de dh de dépenses (26 milliards d ’€)  soit 3.5% de ce budget. C’est un chiffre très raisonnable si on le compare aux chiffres de la France ; 115 milliards de déficit pour 345 milliards de dépenses… soit 30% du budget prévisionnel de 2012. 
 
La dette marocaine reste importante (50 %du PIB) mais a été contenue jusqu’en 2010. Elle pourrait cependant atteindre prochainement 70 % du PIB. Elle est constituée en majorité par des obligations de l’Etat achetées par les Marocains épargnant, réticents à investir dans le secteur privé. Le Maroc est donc peu vulnérable, sur ce point, "aux marchés extérieurs".
 
La baraka du Maroc
 
Le système bancaire est fondamentalement sain et repose sur des banques de dépôt dans leur ensemble bien gérées. C’est sans doute le réseau bancaire le plus performant en Afrique. 
 
Les écoles de commerce et de technologie publiques et privées qui jalonnent les grandes villes du Maroc forment une élite moderniste qui peut favoriser l’ouverture du Maroc à la compétition internationale. 
 
L’exode rural contenu n’a pas provoqué de rupture de l’équilibre entre le monde rural et le monde urbain. La population rurale (50 %) dans sa grande majorité s’accommode de sa condition dès l’instant où tout le monde parait pouvoir manger à sa faim. 
 
Les solidarités familiales contrebalancent (en partie) la précarité des emplois qui caractérise le marché de l’emploi marocain et le chômage dont il est difficile de mesurer l’ampleur en raison de l’importance de l’économie parallèle. Il se situe officiellement aux alentours de 11% (et en réalité autour de 25 %). 
 
Il est plus facile ainsi de gouverner ce pays dont la richesse très inégalement répartie pourrait cependant entrainer d’immenses frustrations. 
 
Les dépenses d’infrastructures de l’Etat sont importantes et dynamisent le marché de la construction. Elles sont un facteur du développement futur pour le Maroc. 
 
En dix années, les paysages urbains ont été profondément transformés et les infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires modernisées. . (1800 km d’autoroutes ont été créés en 10 années). 
 
Les programmes de développement touristique ont remodelé les centres touristiques existants et créent de nouvelles zones d’accueil destinées à une clientèle étrangère haut de gamme et moyen de gamme ainsi qu’aux riches classes sociales de Casablanca, Rabat et Marrakech. 
 
Les programmes de logement sociaux sont importants dans les grands centres urbains et permettent un accès à la propriété à une classe moyenne naissante. (plus de 100 000 par année).  Le Maroc est devenu un immense chantier qui parait le conduire dans la voie de la modernité. 
 
La croissance démographique parait maîtrisée, bien qu’il soit difficile d’établir des statistiques précises en ce domaine, en particulier dans les zones rurales. (le taux moyen de fécondité par femme étant passé de 4,6 % à 2,3 en 15 années ).
 
Les transferts émanant des Marocains résidant à l’étranger ne faiblissent pas ; ils ont même augmenté de 7% par rapport à l’année passée. Ils permettent un apport en devises étrangères bien utile à la balance des paiements traditionnellement déficitaire. 
 
Le pouvoir parait solide (police et services de renseignements efficaces) et habile. La personne du roi est globalement bien perçue malgré l’affairisme royal et l’interventionnisme de l’Etat commençant à être dénoncés. 
 
La presse semble plus libre que dans les pays voisins. Elle se permet de critiquer le gouvernement dans la limite d’un raisonnable préalablement négocié. La personne du roi est totalement protégée de la critique ainsi que l’armée royale. 
 
Le fait que le roi soit perçu comme le commandeur des croyants est un atout considérable pour faire admettre son pouvoir dans tout le royaume avec cependant l’aide d’un contrôle politique vigilant. 
 
Une croyance collective des Marocains en la "baraka du Maroc" empêche le désespoir. 
 
Clivage entre laïc et islamistes
 
Derrière cette vitrine très séduisante, il faut tenir compte des caractéristiques structurelles de la société marocaine qui viennent tempérer cette présentation. 
 
Le Maroc a une culture autoritaire qui rend difficile l’évolution de cette société. Dans les zones rurales, la famille et le clan restent profondément patriarcal. La tradition religieuse domine les campagnes et les petites villes où la majorité de la population vit. La culture laïque reste limitée à une partie de la classe moyenne et de la "petite bourgeoisie". Elle est rarement mise en avant. Le ramadan parait de plus en plus suivi, même dans les milieux économiques occidentalisés de Casablanca où il était peu suivi il y a encore trente ans. 
 
Le clivage entres laïcs et "islamistes" est l’un des plus importants obstacles à la démocratisation au Maroc. Les partis traditionnels d’opposition et notamment le parti socialiste, ont vu la montée des mouvements islamistes comme une menace pour la société et le futur du Maroc moderne qui était aussi leur objectif. Ils ont ainsi accepté de participer aux différents gouvernements sans avoir de réel pouvoir de décision. Tout le monde s’est mis d’accord pour éliminer les islamistes de l’exercice du pouvoir. 
 
Les élites restent fascinées par l’Occident et plus particulièrement par la France et les grandes écoles d’ingénieur françaises. Elles restent toujours dominées par les grandes familles, en particulier les familles fassies, venant à l’origine de la ville de Fez, capitale religieuse et culturelle du Maroc. Elles jouèrent un rôle déterminant lors des révoltes venues majoritairement du Rif contre l’"occupant français" à partir de 1952 . 
 
 Cette prépondérance ne permet pas la mobilité sociale pour leur renouvellement. Elle sous-tend un interventionnisme important de ces familles dans l’économie marocaine et dans l’Etat, c’est-à-dire le Makhzen, l’appareil sécuritaire du Maroc dont le nom vient d’anciens magasins de produits alimentaires, protégés contre le pillage par des gardiens armés. 
 
Les Fassis constituent ainsi l’ossature du Makhzen devenu l’appareil de gouvernance de l’Etat marocain intervenant dans tous les domaines du pouvoir régalien : justice, administration, armée, police, renseignements, sapeurs-pompiers.). Il est appelé aujourd’hui pudiquement les forces auxiliaires de l’Etat. 
 
Le poids du Makhzen est aussi considérable dans la structure économique et sociale du pays. Il induit tout le système complexe des allégeances régionales avec une perception fantasmagorique de son influence de la part des populations. 
 
Toute réforme de la gouvernance marocaine devra être négociée avec ce Makhzen dont les intérêts se confondent avec ceux du Palais. 
 
Une main d’œuvre peu mobile
 
L’état de droit est toujours en construction, miné par la corruption généralisée. 
 
La main d’œuvre est dans l’ensemble peu mobile sur le plan géographique en raison du poids de la famille et de ses solidarités. 50% de cette main-d’œuvre travaille dans l’agriculture qui ne produit que 17 % du PNB marocain. Elle est peu préparée pour favoriser l’entrée de l’industrie marocaine dans la compétition internationale car mal formée par un système d’enseignement inadapté et profondément corrompu. 
 
Il y a dans le fonctionnement de l’Etat une priorité accordée aux dépenses pour financer de grands programmes de développement économique ainsi qu’un appareil sécuritaire démesuré au regard de la population marocaine (armée et police) . 
 
Les programmes de lutte contre l’analphabétisme, la pauvreté et le développement humain ont en contrepartie étaient non prioritaires et des moyens budgétaires insuffisants vu l’immensité de la tâche, leur ont été consacrés. 
 
Ainsi, les partis islamistes ont mené dans les zones les plus pauvres une action sociale de substitution à celle de l’Etat, se créant ainsi des bases électorales fortes pouvant favoriser la propagation d’une idéologie islamiste mais surtout une prise de pouvoir politique lors de futures élections. 
 
Le principal instrument d’intervention sociale de l’Etat est la distribution gratuite du pain ainsi que la caisse de compensation qui assure le blocage des prix sous forme de subventions pour les produits de première nécessité, nourriture et énergie. Son coût parait aujourd’hui exorbitant pour les finances publiques (il atteindrait 40 milliards de dirhams en 2012). Les communes, avec l’appui du pouvoir caïdal (autorité de contrôle politique nommé par le pouvoir), des gouverneurs de région mais aussi des ONG venant de l’étranger, ont également soutenu la création réseaux associatifs de lutte contre l’analphabétisme et contre la pauvreté.
 
Les revendications au Maroc et le mouvement du 20 février
 
C’est dans ce contexte économique et social que se sont déroulées les premières manifestations du mouvement du 20 février en 2011 dont l’anniversaire va être sans doute fêté avec les risques de débordement que cela comporte. Elles sont la traduction marocaine des mouvements de protestation du "printemps arabe" des pays voisins (Tunisie, Egypte puis Libye). 
  
S’est posé alors pour les gouvernants marocains un défi inhabituel: une situation  de contestation tout d’abord mesurée puis plus véhémente, importée des pays voisins quel la sacralité du roi et une police efficace ne semblaient pu les protéger efficacement. 
L’exception marocaine pouvait- elle être remise en cause ? 
  
Se sont alors mêlés dans le calme des slogans en faveur du Roi, spontanés ou suscités, à ceux contestant les gouvernants, en particulier les Fassis et le Makhzen dénoncés comme concentrant entre leurs mains la quasi-totalité de la richesse et des pouvoirs du royaume. 
 
Les étudiants, nombreux dans ce mouvement, peuvent se distinguer entre ceux des université de lettres et de droit et ceux des universités de science, d’économie, de technologie et des écoles de commerce. 
 
Les premiers sont sensibles notamment aux thèses de la famille Yacine pour qui la justice émane de la spiritualité. Ils peuvent servir de fer de lance à un islamisme plus ou moins combatif, prônant le retour aux valeurs du coran. 
 
Les autres, les "avant-gardistes" sont favorables à une ouverture économique du Maroc, aux valeurs occidentales et à une démocratie pluraliste mettant en cause les privilèges des grandes familles du Maroc qui tiennent l’essentiel de l’économie marocaine et contrôlent l’attribution des emplois publics et privés. 
 
Ces mouvements restent de nature pacifique et bien contrôlés par la police et l’armée dont le comportement n’a rien à voir avec celui des pays voisins, les armes à feu étant heureusement absentes dans les deux camps. 
 
Cependant, des incidents très graves allant jusqu’à la mort de manifestants "fragiles" relayés se sont produits à la suite de la dureté de la répression policière. La presse locale dans son ensemble en a minimisé l’ampleur. Plus curieusement, la presse internationale, et en particulier française en a très peu rendu compte et a donné l’impression de s’auto censurer (à l’exception de Libération et du Monde). Les réseaux sociaux ont par contre largement diffusé ces informations.
 
Faiblesse des salaires
 
Quant aux gouvernements occidentaux, et particulièrement le gouvernement français, ils ont continué à louer l’exception marocaine qui préserverait, selon leurs perspicaces analyses, le Maroc d’une révolution dangereuse pour le pouvoir royal et pour les intérêts occidentaux. C’était à croire que beaucoup avait profité des bienfaits de la Mamounia. 
 
Sont dénoncées notamment :  une mauvaise exploitation des richesses naturelles, en particulier du phosphate, utilisées au profit d’un petit nombre de prédateurs de l’administration marocaine et des politiques, c'est-à-dire du Makhzen. Safi et Ben Guerrir deviennent ainsi des hauts lieux de la contestation. 
 
La faiblesse des salaires dans le secteur privé et l’administration qui ne permet plus à la majorité des Marocains de vivre décemment. 
 
L’extrême richesse de leurs élites et parfois le comportement ostentatoire de certains Européens qui respectent peu les codes de leur société traditionnelle. 
 
La complexité de la réglementation et l’usage du bakchich à tous les niveaux de l’administration, (fiscale, celle des douanes) qui les soumet à des vexations journalières rendant toute initiative personnelle longue et difficile. 
 
L’absence d’un d’Etat de Droit qui favorise les riches en cas de conflit. Les trois quarts des décisions de justice ne sont pas exécutées. 
 
Les investisseurs étrangers sont eux aussi souvent découragés par les obstacles multiples qu’ils rencontrent au cours du déroulement de leurs projets ; certains repartent ruinés du Maroc et épuisés par un combat « donquichotesque » contre les ailes du moulin à vent de cette administration tentaculaire et redondante. 
 
On retrouve là les thèmes des contestations du début de règne de Mohamed VI mais aussi des relents de la contestation de la période coloniale du protectorat. 
 
Les modernistes reconnaissent la réalisation de grands projets d’infrastructure, de logistique, de construction de logements sociaux pour accueillir cette population qui s’urbanise de plus en plus, les aménagements touristiques structurants, le combat contre l’illettrisme, l’électrification des villages ruraux reculés ainsi que l’approvisionnement en eau. Ce sont des réalités incontestables. Ces actions sont portées au crédit du roi grâce aux inaugurations habilement mises en scènes et aux visites constantes de Mohamed VI sur le terrain. "Le roi travaille" disent les Marocains alors que les politiques sont souvent considérés comme s’en mettant plein les poches. 
 
Le Roi reste une personnalité respectée de sa population, même si un certain affairisme de la famille royale est de plus en plus dénoncé. 
 
Le pouvoir central gère habilement sous l’autorité directe des walis les subventions et l’attribution de postes pour les agitateurs jugés dangereux, l’appareil policier s’occupant des plus dangereux. 
 
Mais, ce "système" d’amortissement de la prise de conscience du mécontentement a volé en éclat en raison des événements dans les pays voisins suivis à la télévision dans tout le royaume. Des contestations de décisions du pouvoir local se produisent de plus en plus souvent au niveau des communes mettant en cause les pouvoirs des autorités communales dont caidales. Ainsi l’atout d’une population, illettrée et passive, pour juguler la naissance d’un sentiment de révolte, n’est plus totalement efficace et beaucoup prennent conscience de leur nouveau pouvoir de revendication.
 
Le discours du roi
 
Le discours du roi du 9 mars 2011 annonçant la réforme constitutionnelle (et la réforme régionale) par referendum organisé le 1er juillet 2011, puis les élections anticipées législatives de novembre 2011 constituent la réponse du Palais aux revendications exprimées dans la rue et par la société civile consultée. 
 
Il était alors difficile à cet instant, de prévoir l’évolution de la situation du Maroc dans le contexte international du printemps arabe. Le pouvoir semblait inquiet. 
 
L’attentat de Marrakech du 28 avril a eu pour première conséquence de renforcer la répression des mouvements de contestation. Il était alors certain que le Makhzen ferait tout pour annihiler cette contestation qui pouvait remettre en cause son omnipotence. En face, le mouvement du 20 février était dominé par les islamistes qui s’organisaient politiquement et idéologiquement .Il paraissait dangereux de ne pas essayer de les intégrer dans le débat démocratique ou dans la cage aux lions. 
 
"Tout changer pour que rien ne bouge", telle est la devise qu’a paru adopter le Makhzen avec ce projet de réforme de la Constitution du royaume présentée par le roi. 
  
Le discours du roi du 9 mars 2011 annonçant une réforme de la Constitution et la régionalisation:  Ce discours annonçant le "referendum constitutionnel" a été bien reçu par la population marocaine dans son ensemble et par les différentes institutions, politiques, économiques et sociale. Il se veut une réponse institutionnelle aux différentes revendications exprimées lors de la manifestation du 20 février dernier. Il est rendu nécessaire par la nécessité d’améliorer la gouvernance du pays plus démocratique, plus juste et moins inégalitaire en s’appuyant sur les forces vives de la Nation que constituent les secteurs politiques, économiques, syndicaux et associatifs et les régions. 
 
La réforme constitutionnelle proposée parait, en première lecture conduire le royaume du Maroc vers une monarchie parlementaire prévoyant une séparation des pouvoirs plus effective, un rôle accru du Parlement et du Premier ministre et une réforme régionale qui doit permettre l’élaboration de réformes novatrices pour l’ensemble de la population marocaine. 
 
Il est évident que l’on ne peut qu’approuver de telles intentions qui sont de nature démocratique. 
 
Pour certains opposants, cette réforme est considérée comme un habillage sémantique et organisationnel du pouvoir absolu. Pour la majorité de la population marocaine (dont 40% d’analphabètes) peu au fait des problèmes constitutionnels, c’est un langage abscond qu’elle ne peut comprendre mais qu’elle soutient car elle vient du roi et parait renforcer son autorité.  D’autres pensaient qu’il fallait plutôt apporter des réponses de nature économiques, financières et sociales. 
 
Enfin, certains imaginaient que cette réforme serait confisquée par le Makhzen qui s’arrangerait surtout à faire en sorte que rien ne change dans la maitrise de l’appareil d’Etat, dans sa gouvernance et dans les choix politiques futurs.
 
Le référendum du 1er juillet 2011 
 
Avec 75% de participation et 98% de oui, le référendum a été un succès incontestable pour le Roi même si les électeurs n’ont pas paru alors se déplacer en masse dans les bureaux de vote…. 
 
Ce score à la Basri, ancien ministre de l’intérieur d’Hassan II, grand spécialiste de la "cuisine électorale" fut un plébiscite en faveur du Roi dont l’image est préservée, malgré la contestation du mouvement du 20 février et ses consignes de boycott du vote. Il récolte les bénéfices des progrès accomplis depuis une dizaine d’années dont on lui attribue l'entière paternité.
 

 
Les élections qui en ont suivi ont été organisées à la hâte, sans véritable campagne construite, à l’exception de celle du Parti Justice et Développement (PJD) car conduite par un leader populiste, excellent tribun, se servant de réseaux islamistes encrés dans la société et bénéficiant de moyens financiers importants venus des ONG occidentales et des Etats du Golfe.
 
Avec 27% des suffrages exprimés, c’est une victoire incontestable pour le PJD, mais aussi pour cette réforme constitutionnelle qui a permis qu’un parti majoritaire islamiste puisse prendre la tête d’une coalition gouvernementale rassemblant les principaux leaders des partis traditionnels qui se partageaient jusqu’alors le pouvoir.
 
Beaucoup d’observateurs ont conclu immédiatement qu’il s’agissait de la prise de pouvoir par les islamistes donc d’un pouvoir islamiste. Pourtant, en raison d’une faible inscription sur les liste électorales et d’une faible participation au vote, (45%) le PJD n’a recueilli que 5% des Marocains en âge de voter : il ne peut donc y avoir de majorité électorale islamiste issue de ces élections.
 
De plus, le mode de scrutin proportionnel confirmé par la réforme constitutionnelle de juillet 2011 ne donne aucune prime majoritaire au parti vainqueur. Ainsi, le PJD n’obtient que 107 sièges sur 395, soit moins de 30% des sièges à la Chambre des députés. Il n’y a pas de majorité d’un parti islamiste au Parlement marocain. Il ne peut gouverner qu’après avoir négocié des alliances avec les autres partis en compétition afin de constituer une majorité politique de gouvernement.

Il reste donc dépendant des arbitrages de cette coalition contrôlée en sous-main par le Palais. Il n’a pas pu constituer le gouvernement ramassé de 25 membres qu’il appelait de ses vœux, ni permettre la nomination de nouveaux jeunes ministres, à l’exception d’un seul. Il a dû partager les principaux portefeuilles (les ministères de souveraineté) pour conduire sa politique. Une seule femme a été nommée ministre alors que le gouvernement précédent en comportait 7. Il doit s’accommoder de l’exécutif bis du Palais qui, comme en France avec les conseillers de l’Elysée, traite des problèmes essentiels du pays et tenir compte du pouvoir du Makhzen, «  structure archaïque mais très sophistiquée» dont « l’objectif à travers ce gouvernement est de contenir la contestation, et limiter le changement dans des proportions qui lui permettent de rester le maître du jeu.. » (selon Driss Benali professeur d’économie à l’Université Mohamed V de Rabat).

Nous sommes donc loin, là aussi du pouvoir politique islamiste annoncé et craint.

 

Le gouvernement jouït d'un soutien massif de la population
Enfin, le PJD est lui-même une émanation d’un parti politique, largement intégré au paysage politique marocain, le "Mouvement populaire constitutionnel et démocratique" (MPCD), créé en 1967, dont le fondateur, Abdelkrim Al Khatib, était un homme du Makhzen. La mutation du mouvement d’Al Khatib vers le PJD, en 1998, a été négociée sous la houlette du Palais par l’ancien ministre de l’Intérieur du roi Hassan II, Idriss Basri. Le PJD ne conteste d’ailleurs pas l’institution royale, encore moins le statut de" Commandeur des croyants" (Amir Al Mouminine) du souverain à la différence du parti d’Al Adl Wal ihsanne, (Justice et bienfaisance). L’islamisme du PJD est bien encadré dans le jeu politique du Makhzen. Ce n’est pas le cas de l’islamisme institutionnalisé algérien qui reste rebelle mais dont un parti islamiste modéré pourrait semble-t-il pouvoir émerger, sur le modèle marocain.
Cette collusion du PJD avec le pouvoir royal et le Makhzen semble évidente et doit limiter les risques d’une dérive islamiste.
 
Aujourd’hui, le gouvernement jouit d’un soutien massif de la population qui cherche par tous les moyens à être rassurée.
Un sondage vient d’être publié : 88% des Marocains font confiance à Abdalilah Benkirane. Ce sondage qui bouleverse certaines idées reçues, nous apprend que les islamistes sont aussi bien appréciés dans les villes que dans le monde rural et que les Marocains sont optimistes, voire même très optimistes concernant le gouvernement Benkirane.
La première raison de cet appui massif au nouveau gouvernement est que les islamistes du PJD ne sont pas perçus comme ayant participé réellement au pouvoir précédent. Leurs négociations antérieures avec le Palais et avec le Makhzen sont connues et non oubliées : Mais ils ne peuvent être que meilleurs dans la gestion du pays.
C’est principalement le thème du changement qui explique ce ralliement beaucoup plus que sa nature islamiste.

La seconde explication vient du fait que, pour l’immense majorité de cette population à 98% de confession musulmane, toute morale procède de Dieu et cela s’applique aussi à la politique : ceux qui se réfèrent à Allah ne peuvent qu’être bons. Il y a bien là les fondements d’une idéologie politique islamiste.
Ainsi, dans sa déclaration d’investiture devant le Parlement, Abellah Benkirane a choisi comme premier thème de son discours l’identité nationale et ce avant de parler de l’économie et les programmes sociaux. De longues minutes ont été consacrées à ce thème : pour le Premier ministre, l’islam est le socle de l’identité marocaine. Partant de ce principe, il préconise l’encouragement et la promotion des valeurs religieuses. Cette politique nécessitant l’engagement des imams et d’autres intervenants dans la gestion des mosquées (200 000 fonctionnaires), le chef du gouvernement leur a fait miroiter la promesse d’améliorer leur situation financière.
Ce choix n’était pas neutre : le Premier ministre s’adressait d’abord à ce socle sociologique islamiste majoritaire.
 
Ce nouveau gouvernement ainsi constitué peut-il réaliser les objectifs définis dans le projet de changement qu’induit la réforme constitutionnelle voulue par le roi et dans le programme électoral du PJD ?
 
Le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale présente les grands axes du programme de son équipe et précise le contenu de ses promesses de changement : réduire le chômage, maintenir la croissance, lutter contre l’économie de rente et contre la corruption. Il promet aussi la création d'un "fonds public d'assurance sociale pour les démunis", la construction de logements sociaux, véritable urgence, et «la mise en œuvre des projets de villes sans bidonvilles, dans un nouveau cadre d'intégration urbaine et sociale de ces projets».
 
Mais la grande question est de savoir si le gouvernement a les moyens politiques, économiques et financiers de tenir ses promesses au moment où :
 
Le taux de progression de l’économie marocaine est un des plus faibles des pays émergents (environ 4,5 % sur les 3 dernières années) et cette croissance dépend pour moitié de la production agricole.

 

Marges de manoeuvre budgétaires quasi nulles

Les accords commerciaux passés avec l’Organisation Mondiale du Commerce réduisent les droits de douanes pour les produits importés.
La diminution des recettes en devises s’amplifie avec la chute de la fréquentation touristique ainsi que les recettes fiscales sur les transactions immobilières.
La diminution des investissements étrangers 50% en 2011 par rapport aux investissements de l’année 2010 hypothèque les projets du futur.
La crise frappant ses principaux clients importateurs et exportateurs (France, Espagne, Italie) commence également à affecter l’économie marocaine
 Le commerce extérieur est de plus en plus déséquilibré. Le déficit du commerce prévu pour 2011 est de près de 15 milliards d’ € et le taux de couverture des importations par les exportations est de moins de 50 %.

Le train de vie de l’Etat reste considérable. Il résulte notamment des avantages nombreux consentis aux élites dont la réduction nécessaire reste un slogan incantatoire de tous les partis politiques .Il tient aussi du coût colossal des investissements réalisés au Sahara occidental avec un retour sur investissement très faible(. Mais il n’est pas concevable d’aborder cet élément fondamental de la politique d’intégrité nationale du royaume.)

Enfin, la diminution de la possibilité d’émigration vers l’Europe pour une partie de la population arrivant sur le marché du travail et n’y trouvant pas d’emplois aura une incidence rapide sur le chômage.(la population d’origine marocaine séjournant dans 7 pays d’Europe entre 1999 à 2005 s’est accrue de 650 000 personnes. Ces chiffres incluent les flux migratoires à l’augmentation naturelle de cette population.)

Dès lors, les marges de manœuvre budgétaires deviennent quasi nulles pour le gouvernement.
 
Il reste la question cruciale qui taraude certains esprits : les islamistes mettront ils au Maroc en application la charia comme ce fut le cas des islamistes  algériens quand ils avaient fait fuir les quelques touristes au début des années 1990 ou comme le font craindre certaines déclarations en Lybie ?
Les islamistes accepteront-ils de céder le pouvoir en cas de défaite électorale, sachant qu’ils considèrent le jeu politique comme une ruse, comme l’enseigne Machiavel ?
 
A moins que ce gouvernement de présentation islamiste ne soit qu’un leurre et qu’il ait été mis en place, suprême habileté par le Makhzen pour échouer, montrant ainsi que l’alternative islamiste n’est pas crédible pour le Maroc ? Dans cette hypothèse, il n’y aurait plus d’enjeu et rien ne va changer.
 
Témoignage de Ali Amar recueilli par Andréa Comas de l’Agence Reuters un mois avant la tenue des élections législatives :
Le «nouveau Maroc» est malade
A un mois de la tenue des élections législatives anticipées (prévues pour le 25 novembre), on assiste au niveau zéro de la vie politicienne. Exemple parmi tant d’autres : ce mariage du lapin et de la carpe en guise de coalition improbable de partis aux idéologies divergentes est promu comme idéal. Quelle tristesse! 
Oui, décidément, sous le vernis des apparences, le «nouveau Maroc» est malade. Société de défiance, démission des élites, vacuité du pacte monarchique, sont autant de maux qui empêchent le royaume de bâtir un projet de société démocratique et trouver une place satisfaisante dans le système mondialisé. La déshérence politique chronique, la montée de l’intégrisme, de l’intolérance, la persistance de la misère, la marginalisation de certaines fractions identitaires, accentuent la sclérose d'un modèle social échafaudé sur le terreau de la féodalité et du consumérisme.

Un seul remède existe: en finir avec la sacralité et la suprématie du trône sur les institutions, briser les liens de courtisanerie entre les élites et le Palais, affirmer la citoyenneté des Marocains. En un mot : sortir du Makhzen, ce système de gouvernance vermoulu qui perpétue les archaïsmes. Mais qui donc aura le courage de ses convictions ?

 

Destin en main

Les Marocains et les peuples du monde arabe ont leur destin en main : dans leur marche en avant, il faut qu’ils se méfient des gourous occidentaux qui ont plein d'idées mais qui connaissent mal leur histoire, leurs besoins, leur mode de vie, qui ne perçoivent de leur société que ce qu’elle accepte de montrer, c’est à dire quasiment rien et surtout pas leur misère, leurs frustrations ou leurs espoirs.

Ils ont besoin de courage, de vertu et d’imagination qu’ils puiseront en eux, (si Dieu le veut) afin d’aborder leurs problèmes avec lucidité.
Ils doivent chercher à comprendre pourquoi leurs sociétés qui ne sont pas dépourvues d’atouts géographiques, de ressources naturelles et de talents individuels, souvent rongées par la corruption, sont aussi peu compétitives. Les 450 millions d’habitants du monde arabe exportent moins que les 8 millions d’habitants de la Suisse était-il rappelé dans un éditorial récent du « Point ».

Ils doivent s’interroger pourquoi leurs classes aisées investissent beaucoup plus dans les pays occidentaux dotés d’Etats de droit avérés plutôt que dans leurs propres pays.
Ils doivent enfin essayer de faire revenir les avoirs considérables de leurs nomenclatures au pouvoir pour dynamiser les économies de leurs pays et y créer les emplois nécessaires à leur formidable accroissement démographique.

Ils doivent chercher à comprendre pourquoi tant de jeunes veulent fuir leur pays et restent fascinés par un monde occidental en crise et peu amène.


Intervention réalisée à Paris et Marseille les 13 et 15 février 2012 dans le cadre des Entretiens Euromed-IHEDN

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