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Inauguré en mars, le Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ) est le noyau dur de la nouvelle politique sécuritaire marocaine, le bouclier antijihadiste.

 

Salé, par 31 degrés à l’ombre. Nous sommes au milieu du « triangle de la mort », comme l’appellent avec cynisme les habitants de la ville. En face, le Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ), qui enquête sur les affaires de terrorisme. Derrière, le tribunal de Salé, qui les juge. À gauche, la grande muraille de la prison Zaki, où les condamnés purgent leur peine. Plus loin, deux barrages de police sécurisent l’accès au BCIJ. À l’entrée du bâtiment, qui s’étend sur 5 000 m2 avec une vaste cour intérieure, deux colosses encagoulés en uniforme noir et armés de M4 montent la garde.

Depuis l’inauguration du BCIJ, le 20 mars, il ne se passe pas une semaine sans que la presse marocaine ne fasse état d’arrestations opérées à son initiative un peu partout dans le royaume. À peine entré en service, il démantèle un réseau de 13 individus se réclamant d’une Wilayat ad-Dawla al-Islamiya fi Bilad al-Maghrib al-Aqsa – Ahfad Youssef Ibn Tachfine (« Province de l’État islamique dans le Maghreb extrême – descendants de Youssef Ibn Tachfine ») qui projetait d’attaquer des personnalités publiques, ainsi que des patrouilles de police afin de s’emparer de leurs armes. À Fès, Khouribga ou Tétouan, les arrestations de jihadistes et de trafiquants de drogue se multiplient, toutes notifiées à l’opinion publique par un communiqué solennel du ministère de l’Intérieur.

La réputation du BCIJ franchit rapidement les frontières. Aux Belges, il a fourni de précieuses informations qui ont permis à ces derniers de déjouer un attentat le 17 janvier, dix jours après le massacre de Charlie Hebdo, à Paris. Espagne, Italie, Pays-Bas, Arabie saoudite… de nombreux pays sollicitent son aide. En revanche, aucun contact avec l’Algérie, « dont on déplore l’absence complète de coopération à cause des aléas politiques » (sic).

Spécialisé dans les affaires de grand banditisme et dans la lutte contre le terrorisme, le BCIJ est une émanation de la toute-puissante Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), dirigée par Abdellatif Hammouchi. C’est un corps de police judiciaire qui assure la liaison entre les services de renseignements et les tribunaux. La presse marocaine l’a très vite surnommé le FBI marocain, au risque d’offusquer ses fondateurs, farouchement attachés à leur spécificité marocaine. « Nous sommes le BCIJ, pas le FBI », maugréent-ils.

Natif de Derb Soltane, quartier populaire de Casablanca d’où est parti le mouvement national, le directeur du BCIJ, Abdelhak Khiame, 56 ans, est un enfant du peuple, simple, chaleureux, mais très prudent. Rien que de très normal après vingt-neuf années passées au sein de la police judiciaire (PJ), qu’il a rejointe en 1986, après une licence en économie qu’il complétera par la suite par un master en gestion des entreprises. En 2003, juste après les attentats de Casablanca, il est promu directeur de la PJ. Il instruira les dossiers des détenus islamistes de l’époque, avec en sus une série de scandales financiers qui ont entouré la gestion du Crédit immobilier et hôtelier (CIH), de la Caisse nationale de crédit agricole (CNCA), de la Banque populaire (BP) et des collectivités locales…

Khiame a épluché des centaines de rapports des renseignements, de la cour des comptes, de la gendarmerie royale, de la police, avant de les médiatiser par le truchement de journalistes qu’il informait discrètement. À la fois enquêteur aguerri et communiquant subtil, il présentait le profil idéal pour diriger le FBI marocain. « Durant toute ma carrière à la PJ, nous confie-t-il, j’ai pu constater l’excellent travail que font les agents de la DGST, mais, une fois leur mission de renseignement terminée, ils étaient obligés de nous céder leurs enquêtes. Leur savoir-faire s’arrêtait là où s’arrêtaient leurs prérogatives. Et était ainsi en quelque sorte perdu. »

En 2011, en plein Printemps arabe, le changement tant attendu se produit : en vertu d’un amendement du code pénal, l’article 108 plus précisément, la DGST peut désormais assurer le rôle de police judiciaire. Autrement dit, procéder à des enquêtes, interpeller, interroger et dresser des procès-verbaux. Elle se voit octroyer plusieurs domaines d’intervention, tous à caractère national : sûreté de l’État, lutte contre le terrorisme, affaires criminelles, kidnappings, contrefaçon et fausse monnaie, trafic de stupéfiants et d’armes… L’ennemi terroriste n’est alors plus ce groupe de takfiristes (excommunicateurs) appelant à tuer les impies, mais une hydre de la criminalité organisée qui a besoin de se financer, de s’armer, de communiquer…

Après avoir reçu une formation en renseignement, en arts martiaux et en techniques de tir à la DGST, ils se perfectionnent chez les Américains, les Français et les Italiens
La DGST prépare alors en toute discrétion l’arrivée de sa filiale, qu’elle dote de ses enquêteurs les plus chevronnés. Le BCIJ comprend 340 agents divisés en deux brigades, celle de la lutte contre le terrorisme, placée sous la direction de Haboub Cherkaoui, et celle de la lutte contre la criminalité, sous l’autorité de Hicham Baali. Deux autres brigades seront créées prochainement lorsque la réforme du code pénal, actuellement en examen chez le ministre de la Justice, Mustapha Ramid, sera adoptée : l’une sera chargée de traiter les crimes financiers, l’autre tout ce qui concerne le trafic humain et les crimes de guerre. Avec des missions aussi complexes et interdépendantes, le BCIJ créera des bureaux régionaux, ainsi que des minibrigades afin de faciliter la remontée des informations et de rendre plus rapides ses interventions sur le terrain.

Face à l’ennemi terroriste, les Groupes d’intervention rapide (GIR) sont en première ligne. Leurs membres ont été sélectionnés à leur sortie de l’Académie de police de Kenitra après avoir passé un concours d’aptitude physique et psychologique très strict. Après avoir reçu une formation en renseignement, en arts martiaux et en techniques de tir à la DGST, ils se perfectionnent chez les Américains, les Français et les Italiens dans le cadre de la coopération internationale. Il en va de même pour les artificiers, les armuriers et les spécialistes de la cybercriminalité, lesquels disposent de leur propre cellule au BCIJ. Impossible de connaître le nombre exact de ces soldats de l’ombre, pour raison de sécurité, nous explique-t-on, mais aussi parce que le recrutement est toujours en cours. À noter que ces GIR comprennent quinze femmes, dont la mission, pour l’instant, consiste à interroger et à fouiller les femmes en garde à vue.

Ici, c’est la loi, rien que la loi »
Quand ils préparent une mission, les GIR dorment et mangent sur place dans une aile qui leur est affectée. Leurs chambres sont meublées de façon spartiate : un lit, une douche et un petit placard. Pas de télévision ni d’ordinateur. En fonction de la dangerosité de l’opération, ils disposent d’armes légères – Glock et Beretta 9 mm – ou plus lourdes – M16 et M4. Dans toutes leurs missions, ils sont guidés par un officier de la police judiciaire, qui est le représentant de la loi. C’est lui qui récite leurs droits aux personnes placées en garde à vue avant de les conduire dans des cellules situées au sous-sol du BCIJ, que nous n’avons pas été autorisés à visiter. On nous montre en revanche le parloir, où les suspects reçoivent leurs proches et leurs avocats, lequel est surveillé de près par les agents du BCIJ via une caméra et une vitre teintée. Pour éviter tout soupçon d’aveux extorqués sous la torture, les suspects passent un test médical à l’entrée comme à la sortie du BCIJ.

On y est d’ailleurs particulièrement fier de faire visiter ces installations, comme pour gommer la réputation sinistre que traîne la DGST. Dans le discours des agents d’investigation, il n’y a pas une phrase qui ne soit étayée par un article de loi, une référence juridique, une comparaison avec ce qui se fait ailleurs… « Ici, c’est la loi, rien que la loi », martèlent-ils. Les temps, quoi qu’on dise, ont décidément changé au Maroc. Avancée notable s’il en est, les services secrets ont désormais un visage public et ont compris que, sans la sympathie de la population, la lutte contre le terrorisme serait vouée à l’échec.

Source : jeuneafrique

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