Yawatani

Il est directeur général du Parti de la justice et du développement (PJD), mais aussi président de la commission centrale des élections, directeur central de la campagne électorale du PJD et conseiller auprès du Chef du gouvernement.

Abdelhak El Arabi, le "Monsieur Elections" du PJD, répond aux questions du HuffPost Maroc sur la campagne du parti, sa stratégie électorale, ainsi que les leçons tirées par le PJD suite aux scrutins de 2015. 

HuffPost Maroc: Comment se déroule jusqu'à présent la campagne du parti?

Abdelhak El Arabi: Notre campagne se passe très bien et nous sommes satisfaits de notre travail. La campagne électorale du Parti de la justice et du développement a démarré avec beaucoup d'enthousiasme, et dès les premiers jours, les militants du parti sont parvenus à faire entendre leur voix.

Notre parti fait campagne de manière propre et sérieuse. Nous privilégions le contact direct avec les citoyens, et nous ne distribuons nos tracts à la va-vite. Dans ce sens, je pense que les citoyens ont pu remarquer que les tracts de notre parti ne sont pas jetés par terre, parce que nous les distribuons en main propre aux citoyens, et s'ils n'en veulent pas, on ne les force pas à les accepter.

Ce qui distingue cette campagne électorale des campagnes précédentes, c'est la forte adhésion qu'elle a suscité auprès des citoyens. En plus des meetings que nous avons tenu dans plusieurs villes, nous avons été chaleureusement accueillis à Azilal et dans des douars enclavés, où nous avons été reçus avec du lait et des dattes ! C'est la première fois que nous voyons cela, et que nous sommes accueillis de cette manière.

Avez-vous observé, dans certaines circonscriptions, des dépassements commis par des candidats ou par des agents d'autorité?

C'est quelque chose d'inévitable. Les dépassements observés ont été consignés en temps et en heure. Il y a ceux qui nécessitent intervention des autorités, puis ceux qui pourraient nécessiter un recours devant le Conseil constitutionnel. Pour ceux-ci, nous les présenterons dans les délais fixés par la loi.

Du côté des partis politiques concurrents, nous n'avons observé d'un nombre limité de dépassements, et pour cause: la plupart de leurs candidats n'ont pas encore commencé leur campagne, et à maintes reprises, nous nous sommes retrouvés seuls à battre le pavé. Je pense que ce n'est que dans les prochains jours qu'ils commenceront leur campagne...

"Nous souhaitons promouvoir une concurrence politique saine, qui permette aux partis de défendre leur programmes pour convaincre les citoyens de voter pour eux"

Mais les dépassements auxquels nous avons été confrontés depuis les premiers jours de la campagne, et qui deviennent malheureusement de plus en plus nombreux, ce sont ceux des agents d'autorité. Dans un certain nombre de circonscriptions, certains agents d'autorité approchent les électeurs pour demander de voter pour tel candidat d'un parti adverse. Parfois, ils prétendent que notre parti a des problèmes avec l'institution monarchique, et immiscent le roi dans la campagne électorale. Beaucoup de personnes nous ont rapporté que des agents d'autorité les ont approché pour leur dire que notre parti est en disgrâce, ce qui est pur mensonge. Ce sont des agissements d'une très grande bassesse, et nous ne tairons pas sur cela, parce que cela remet en question notre patriotisme et nos principes.

Nous avons observé des dépassements similaires à Salé et à Kénitra notamment, tandis que dans d'autres localités, nous constatons que les agents d'autorité font preuve de neutralité. 

Durant la rencontre du 25 août entre les représentants des partis politiques et les ministres de l'Intérieur et de la Justice, l'idée d'élaborer une charte de valeurs a été proposée. Comment avez-vous accueilli cette proposition?

J'ai assisté à cette rencontre aux côtés de Abdellah Bouanou, le président de notre groupe parlementaire à la première chambre, en tant que représentants du PJD. Effectivement, certains partis politiques ont proposé l'élaboration d'une charte de valeurs ou d'une charte d'honneur. Deux partis de l'opposition ont adopté la proposition, et ont officiellement promis d'élaborer cette charte, dans l'optique de la soumettre au ministère de l'Intérieur qui, à son tour, la proposera aux partis politiques durant une rencontre ultérieure. Depuis, nous n'en avons plus entendu parler. 

On ne sait pas si le problème vient des partis qui devaient élaborer la charte, et qui n'ont pas tenu promesse, ou s'il y a autre chose. Toujours est-il que nous avons, à maintes reprises, cherché à en savoir plus sur l'état d'avancement de la charte, mais nous n'avons reçu aucune réponse.

Par principe, nous sommes en accord total avec cette idée, et nous soutenons toute action qui engagerait les candidats à respecter un certain nombre de principes, car le problème auquel nous sommes confrontés, c'est celui de la concurrence déloyale, peu respectueuse des lois. Nous souhaitons promouvoir une concurrence politique saine, qui permette aux partis de défendre leur programmes pour convaincre les citoyens de voter pour eux, et qui laisse aux Marocains la liberté de choisir le parti et le candidat qu'ils souhaitent soutenir. 

Quelles sont vos ambitions en nombre de sièges pour ces élections?

Nous n'avons pas réalisé de calculs prévisionnels, mais nous avons plutôt opté pour une projection à partir des résultats détaillés des élections de septembre dernier. Certes, les deux scrutins sont très différents, mais l'objectif est plus d'arriver à une sorte de résultat approximatif qu'autre chose.

Il en est ressorti que notre parti allait réaliser de bons scores, et allait remporter des sièges supplémentaires. Mais maintenant, après les premiers jours de la campagne électorale, et après avoir vu la qualité de notre interaction avec les citoyens, ainsi que le bon accueil réservé à notre parti, nous nous attendons à récolter des résultats qui soient bien supérieurs que ceux de 2015. 

"En 2015, malgré nos bons score, nous avons entrepris de faire une évaluation de nos résultats"

Malgré le fait que certains agents d'autorité font clairement campagne contre nous, c'est le résultat contraire qui est atteint puisque les gens adhèrent à notre projet. Nombre de citoyens ont choisi de voter pour notre parti pour ne pas avoir à faire ce qui leur a été dicté, car les Marocains ne supportent plus qu'on leur donne des ordres. Nous avons observé la même chose pour la marche de Casablanca, qui a été contre-productive, et a produit un effet contraire à celui qui était escompté.

Quand ont commencé les préparatifs pour la campagne électorale? 

Évidemment, la fréquence de travail devient plus élevée à l'approche des élections, puisqu'il faut préparer la logistique, les meetings, élaborer le budget de la campagne, etc. Mais depuis 2007, nous avons décidé de passer du travail politique saisonnier au travail permanent, et du loisir au professionnalisme. Dans ce sens, nous ne nous préparons plus aux élections: nous sommes préparés en permanence. Peut-être que nous sommes le seul parti dont les locaux ne sont toujours ouverts au cours de l'année. Nous sommes aussi, probablement, le seul parti politique qui exige de chaque parlementaire d'avoir un bureau dans sa circonscription pour maintenir le contact avec les citoyens qui l'ont élu. 

Pour les élections de 2015, à titre d'exemple, nous avons eu beaucoup de temps pour peaufiner les préparatifs. En 2011, les élections locales soient étaient annoncées pour 2012. Elles ont, par la suite, été reportées à 2013. En 2013 elles ont, encore une fois, été reportées à 2014, et en 2014, rebelote, elles ont été reportées à 2015. En d'autres termes, nous nous préparons depuis 2011 aux élections locales. C'est dire si nous étions bien préparés ! (Rires)

Suite aux élections de 2015, nous avons fait quelque chose qui pourrait sembler étonnant, puisque malgré nos bons score, nous avons entrepris de faire une évaluation de nos résultats, chose traditionnellement réservée aux partis perdants. Nous avons organisé une rencontre spécifiquement destinée à cela, et à partir de cette évaluation, nous avons tiré plusieurs recommandations et conclusions, et nous avons cerné nos points faibles et nos points forts, pour nous présenter, bien préparés, aux élections de 2016.

Quelles sont les principales conclusions que vous avez dégagé de cette évalutation?

Il y a des choses qui relèvent des procédures, comme celle de la sélection des candidats, que nous avons amélioré. Il y a d'autres conclusions relatives à la logistique, ou la manière d'organiser les meetings.

Dans ce sens, nous avons constaté qu'auparavant, notre parti organisait beaucoup de meetings, et aussi bien les cadres du parti que ses têtes de listes ne manquaient pas une occasion d'animer des meetings un peu partout. Partant de l'idée qu'un meeting est le couronnement d'une longue phase de travail sur le terrain, nous avons décidé d'en réduire le nombre, ce qui a fait que nous nous sommes plus focalisés sur le travail de terrain et les rencontres directes avec les citoyens.

Une autre conclusion fondamentale avec laquelle nous sommes sortis, c'est qu'il fallait revoir notre manière de préparer les programmes électoraux. Lors de l'évaluation des résultats de 2015, nous nous sommes mis d'accord sur le fait que notre programme pour les élections de 2015 était bien fait, mais qu'il était perfectible. De fait, pour élaborer le programme que nous avons présenté pour les élections législatives, nous avons travaillé durant dix mois. 

La faible présence du parti dans le monde rural a-t-elle été abordée lors de cette évaluation?

Nous nous en effet sommes arrêtés sur ce point. Il y a eu des tentatives d'implantation qui ont réussi dans certaines zones, d'autres qui ont échoué. Ce que nous avons découvert, c'est que dans le monde rural, l'interaction avec les citoyens n'est pas aussi complexe que dans le monde urbain. Les citoyens de ces zones veulent de la sincérité. Ils veulent des gens qui parlent leur langage, qui se soucient d'eux et tiennent compte de leurs préoccupations, et non des candidats qui viennent leur réciter des discours incompréhensibles. 

Il y a, certes, des différences au niveau national, vu que nous avons pu nous implanter dans le certaines zones rurales dans la région du Gharb, ou encore dans le Haouz et à Azilal, mais ce qui fait que nous n'avons pas pu vraiment nous imposer dans le rural, c'est l'exploitation, par certains candidats, de l'indigence et de la pauvreté des gens. 

C'est une chose à laquelle nous ne céderons jamais. Nous essayons, de notre côté, de conscientiser les habitants de ces zones, en leur rappelant qu'ils n'ont pas de quoi avoir peur, et que ceux qui les menacent, voire les terrorisent pour obtenir leurs voix, mentent, et ne peuvent rien leur faire. Nous essayons aussi de raviver la dignité des habitants de ces zones. Si nous atteignons cet objectif, nous aurons réussi. Mais malheureusement, il y a la pauvreté, il y a l'extrême indigence, exploitée par certains candidats sans scrupules. Il nous est arrivé d'entendre, de la part de citoyens habitant dans des zones reculées qu'ils préfèrent avoir un parlementaire qu'ils verront une seule fois durant son mandat, mais qui leur donne 100 dirhams lors de sa campagne, plutôt qu'un autre qu'ils ne verront pas et qui leur donnera rien. 

Mais après l'accueil formidable réservé à certains de nos candidats dans des zones isolées, nous constatons qu'une conscience politique réelle et forte émerge dans le rural. Les gens commencent à se libérer de la peur.

Nous constatons que lors de ces législatives, il y a une ouverture sur des personnalités hors du parti...

Ce n'est pas une chose nouvelle, et il y a eu une plus grande ouverture sur des personnalités non-affiliées au parti lors des élections de 2015. Un grand nombre de nos présidents de communes ne sont pas d'anciens membres du parti. 

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