La darija et la crise identitaire au Maroc.

En pleine crise identitaire au Maroc, la darija, le dialecte marocain, commence à percer petit à petit. Lentement mais sûrement, elle est en train de se forger un chemin surnommé « La Nayda ». Dominique Caubet, sociolinguiste, spécialiste de la darija, professeur d'arabe maghrébin à l'Inalco, membre du Centre de recherche en berbère et en arabe maghrébin (CERBAM), nous explique la relation entre darija et l'identité marocaine.

Utiliser la « darija », c'est aussi et surtout se réconcilier avec son pays. Un pays dont les apparats linguistiques, entre autres, se trouvent totalement en déconnexion avec sa propre réalité. Comme le témoigne Dominique Caubet : « Pourquoi s'interroger sur notre identité alors que nous l'avons sur le bout de la langue?

Outil libéré de toute contrainte grammaticale, la darija semble être la langue la plus apte à accompagner les profonds bouleversements de la société marocaine. Actuellement, toute une génération, composée essentiellement de jeunes musiciens, s'appuie sur la darija comme mode d'expression. A première vue, ce n'est qu'une reprise. La génération d'Abdelhadi Belkhayat et celle de Nass El Ghiwane l'ont toujours utilisée. Mais la différence repose dans la forme d'usage de cette langue. « Darija, comme toutes les langues, a sa variété du quotidien et sa variété littéraire, avec le zajal, le melhoun ou les textes des Ghiwanes. De plus, chaque artiste est libre de faire voyager ses mots entre les deux styles... Nous venons justement de lancer un prix littéraire "Bladi Baldna", pour encourager l'écriture littéraire en prose en darija», ajoute-t-elle.

En marge de cette variation liée à la forme, apparaît aussi une mutation liée au fond. La « darija » est probablement le langage qui répond le mieux à la crise d'identité induite par la mondialisation culturelle. La crise idéologique qui accompagne la transition vers la modernité frappe à l'échelle mondiale. Mais il semblerait qu'avec les projecteurs du monde entier braqués sur le monde arabo-musulman, elle soit porteuse de sens versatiles. C'est au regard de ces évolutions que doivent s'analyser les phénomènes d'anxiété religieuse, idéologique et conjoncturelle que l'on observe au Maroc et qui pourraient se traduire, à l'occasion des élections législatives de 2007, par une hausse relative du vote contestataire.

«Casa Nayda» de Farida Belyazid, un documentaire d'environ une heure, réalisé en 2007. Cette première mondiale témoigne de ce Maroc qui bouge grâce à ses jeunes citoyens. Il reflète l'image d'une société où les laissés pour compte finissent par dire leur mot par le biais de la musique urbaine. Bien qu'ils soient bercés par la culture afro-américaine, nos jeunes musiciens ne délaissent pourtant pas l'accent d'ici. Ils s'appuient sur la darija en guise d'armes. Ce qui a donné plus de crédibilité à leurs messages de proximité. Raison pour laquelle, la presse nationale ne cesse actuellement de vanter unanimement les mérites de cette expérience contemporaine.

Devenue un genre installé et un écho socio-culturel dédié à plusieurs générations, celle-ci est connue sous le nom « Movida » ou tout simplement « Nayda » comme chez nous. L'idée était de montrer autre chose que le Maroc des palmiers et des chameaux . On a montré qu'il y a ici des individus, des jeunes, conscients de leur identité, qui se sont pris en main et essayent d'aller de l'avant même si rien n'entrave leur démarche. Dans ce sens le Maroc est seul de son exemple», explique Dominique Caubet, scénariste du documentaire.


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