Yawatani

 

Le Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient (PCMMO) à Saint-Denis, près de Paris, fête sa dixième édition.

Jusqu’au 19 avril, c’est le Maroc ou plutôt vingt films d’une nouvelle génération de cinéastes interrogeant le Maroc qui se retrouvent au centre d’une programmation ambitieuse. Une invitation à explorer le cinéma marocain, de la diaspora jusqu’à la diplomatie cinématographique.

Comment retrouver ce qu’on a perdu ? La Fièvre commence avec la scène d’un mouton égorgé et du sang qui coule. Il y a aussi une tête qui tourne et une fièvre qui monte. « Il s’agit d’un souvenir d’enfance, explique Safia Benhaim, la réalisatrice de ce film qui oscille entre documentaire et fantastique, entre sa ville natale Meknès et la Méditerranée, entre le roi Hassan II et le Printemps arabe. Quand j’étais enfant, j’allais au Maroc pour voir ma famille, mais j’y allais seule étant donné que mes parents étaient des réfugiés politiques communistes marocains. J’avais un rapport très étrange à ce pays dans lequel mes parents ne pouvaient pas aller. Un jour, j’ai eu une nuit de fièvre où j’ai déliré. Cette nuit représente assez bien le rapport étrange, le dédoublement de la réalité que je peux avoir avec le Maroc. »

Safia Benhaim a grandi en exil et, devenue cinéaste, elle ressent le cinéma « comme si c’était mon seul vrai pays ». Avec La Fièvre, primé en 2015 avec le Tiger Award à Rotterdam, elle tourne dans les festivals du monde entier en parlant d’une mémoire engloutie du Maroc qui ressurgit, sans pour autant se sentir comme une Marocaine : « À vrai dire, je ne peux pas avoir vraiment la nationalité marocaine. Et je ne peux pas non plus dire que je suis totalement une Française, je suis entre les deux, dans l’exil. »

« Être entre les deux »

Même son de cloche dans le film de Hakim Belabbes qui, à l’âge de 35 ans, avait réalisé Un Nid dans la chaleur. Un regard personnel d’un homme exilé à Chicago qui rentre régulièrement pour voir sa famille au Maroc et qui se sentira de plus en plus séparé intérieurement de ses proches et de son pays natal. Être entre les deux ou être les deux à la fois pourrait être aussi le titre du focus Maroc du Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient. La dixième édition est un hommage à la cinématographie qui a fait naître le festival. C’était le soutien du Centre cinématographique marocain (CCM) et du cinéaste et producteur marocain Latif Lahlou qui avaient permis de mettre en place la première édition. À l’époque, Mohamed Zineddaine avait présenté son premier long métrage Réveil, le rêve d’un réveil, en noir et blanc, très poétique, entre le Maroc et l’Europe : « C’est un film qui a été fait avec très peu de moyens, mais surtout avec rage » raconte-t-il ému. On peut être fier des films marocains qui sont projetés ici au Festival. De revoir ici mon film et les autres, cela veut dire que le cinéma marocain commence à irradier et avoir un écho ».


Comment définir un film « marocain »

En effet, actuellement, le cinéma marocain a le vent en poupe, avec vingt à vingt-cinq longs métrages produits annuellement et avec Hicham Ayouch qui vient de remporter avec Fièvres l’Etalon d’or au Fespaco, la « Palme d’or africaine » du plus grand festival panafricain du cinéma. La distinction du réalisateur qui est né et qui a grandi à Paris et qui a tourné en France ce film qui raconte l’histoire d’une famille immigrée dans la banlieue parisienne pose la question : comment définir aujourd’hui un film « marocain ».

Pour le réalisateur Mohamed Zineddaine, la réponse est simple : « Le réalisateur de Fièvres est marocain, et si le film a un esprit marocain, pourquoi pas. » Quant à Kamal El Mahouti, lui-même réalisateur et fondateur du Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient, il admet : « Je ne me pose pas trop ces questions. Chaque réalisateur se définit comme il a envie. Quand on fait partie de la diaspora, on a souvent deux ou trois nationalités et une histoire qui a grandi dans plusieurs pays. À un moment donné, on peut avoir envie de se dire que je suis Canadien sur ce film et à un autre moment on se positionne comme un réalisateur marocain à part entière et pleinement sur un autre projet. »

Pour Hammadi Guerroum, critique du cinéma et directeur artistique du Festival international du cinéma d’auteur de Rabat, la distinction de Hicham Ayouch a une fois de plus rendu visible l’universalité de l’approche cinématographique : « Dans le cinéma, il n’y a pas d’identité, il y a ce côté personnel. Et je crois que Hicham l’a transposé dans son film Fièvres. C’est pour cela qu’il mérite vraiment d’être applaudi. » Les propos du directeur du Centre cinématographique marocain (CCM) Sarim Fassi-Fihri vont encore plus loin : «Ces histoires de nationalités ne veulent plus rien dire. Timbuktu a été présenté aux Oscars en tant que film mauritanien, malgré le fait qu’il a été entièrement produit à Paris. Il y a un réalisateur qui est mauritanien, c’est tout. Indigènes, de Rachid Bouchareb, a été présenté aux Oscars en tant que film algérien. Il a été tourné au Maroc, financé par la France. [Quant à l’histoire de Fièvres, ndlr], les problèmes des communautés maghrébines en France font partie de la vie des Maghrébins. »

Au PCMMO, la palette des films marocains est très large : il y a Nabil Ayouch, le grand frère de Hicham, avec Les Chevaux de Dieu, mais aussi toute une filmographie de Faouzi Bensaïdi ou d’Ismaël Ferroukhi à côté de films grand public comme Rock The Casbah de Laïla Marrakchi ou Number One de Zakia Tahiri. Le cinquantenaire de la mort de Ben Barka (1920-1965) donne l’occasion de revenir sur des films remarquables autour de ce fondateur de la gauche marocaine et personnage important pour l’histoire du Maroc. Ben Barka, l’équation marocaine de Simone Bitton et J’ai vu tuer Ben Barka de Serge Le Péron montrent que ce focus Maroc fait attention de ne pas s’enfermer dans des propos exclusivement marocains.

La question de la liberté

Des films comme Nos lieux interdits de Leïla Kilani, C’est eux les chiens de Hicham Lasri ou Fuite ! de Ali Essafi qui démarre avec des techniques de torture contre des étudiants révoltés, mettent en évidence qu’on peut aujourd’hui parler de beaucoup de choses dans le cinéma marocain : les années de plomb, les emprisonnements politiques et le terrorisme d’État de l’ère Hassan II, mais aussi le Printemps arabe sont très présents dans les œuvres projetées au festival. Pour Fadoua Maroub, le cinéma est un bon moyen d’aborder et de discuter sereinement les questions de la liberté. Pour cela, elle a créé en 2010 les Rencontres méditerranéennes du cinéma et des droits de l’homme (Armcdh) à Rabat et depuis 2015 aussi à Casablanca. « Aujourd’hui, la liberté de ton pour les cinéastes marocains ne dépend que d’eux-mêmes, affirme Fadoua Maroub. C’est à eux de voir ce qu’ils veulent aborder. Il n’y a pas de censure. La censure ne se pose pas au niveau de l’Etat, elle se pose au niveau de l’acceptation sociale de certaines questions. C’est pour cela que l’éducation est si importante. Le film de Kamal Hachkar, Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah a été refusé par la société, parce qu’il parle de l’immigration des juifs marocains en Israël. »

De plus en plus de films, de moins en moins de salles de cinéma

De l’autre côté, les 20 à 25 longs métrages et 60 courts métrages produits chaque année dans le royaume chérifien ne sont pas suffisants pour attester une bonne santé à l’industrie cinématographique marocaine. Le Centre cinématographique marocain (CCM) met à disposition un budget annuel de 5,3 millions d’euros, augmenté cette année de 1,2 million d’euros supplémentaires pour la production de documentaires. Il y a aussi 2,2 millions d’euros de prévus pour l’organisation de festivals et 600 000 euros de subventions pour la numérisation des salles de cinéma, mais « nous avons quand même une chute drastique de la fréquentation en salles, s’inquiète Sarim Fassi-Fihri, le directeur du CCM. En un an, nous avons perdu un million de spectateurs. Nous n’avons plus que 31 salles et 57 écrans, ce qui est très peu. Comme en Europe dans les années 1970, les populations se sont déplacées dans de nouvelles villes, dans de nouveaux quartiers à la périphérie des villes. Plus personne ne va au centre-ville pour aller au cinéma. Donc il faut suivre le consommateur là où il est. Il y a des projets pour 2016 et 2017 de constructions de multiplexes, mais il faut maintenant attendre que cela se concrétise. »

Sans oublier que la fréquentation en France compte beaucoup pour les films marocains. Mais la diffusion et le public ne sont pas toujours au rendez-vous comme l'indiquent les chiffres affichés lors du débat autour de la diffusion des cinématographies du Sud. Le film de Nabil Ayouch, Les Chevaux de Dieu, présenté dans la sélection officielle du Festival de Cannes en 2012 et sorti en 2013 avec 35 copies dans les salles en France a finalement enregistré quelque 30 000 entrées.

Et les statistiques sont parlantes : parmi les 7 316 films distribués dans les salles de cinéma en France entre 2000 et 2013, seulement 26 films (dont 6 en 2013) étaient produits ou coproduits par le Maroc, même si cela représente dans la même période plus que la moitié des 59 films maghrébins distribués en France. « Le Maroc a un rôle très important à jouer, à la fois sur le Maghreb, mais également sur l’Afrique, souligne le président du PCMMO Kamal El Mahouti. Il y a trois pays qui ont une cinématographie relativement importante en quantité et parfois aussi en qualité : l’Égypte, l’Afrique du Sud et le Maroc jouent de grands rôles. Le Maroc, là où il est géographiquement, c'est-à-dire proche de l’Europe, peut jouer un rôle très important. Je pense qu’il doit assumer cette position. Il doit s’ouvrir plus franchement aux autres pays maghrébins et du Moyen-Orient, parce que les problématiques qu’on trouve au Maroc se retrouvent aussi à d’autres endroits, en Libye [ou chez] d’autres cinéastes égyptiens ou syriens. »

La diplomatie cinématographique

En attendant, pour Sarim Fassi-Fihri du CCM, l’offensive culturelle du Maroc continue aussi sous forme de diplomatie cinématographique. « J’ai organisé une Semaine du film marocain à Buenos Aires, les salles étaient pleines. En janvier, on a fait une Semaine du film à Barcelone, c’était la même chose, et ce n’était pas du tout communautaire. C’étaient les Catalans et les Argentins qui venaient voir ces films. Cela leur donne d’autres idées sur le Maroc que le désert et les chameaux. »

 

 

Source: rfi.fr

 

 

 

 

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